Révolution typographique post-binaire

Avec le cycle thématique Festina Lente (Hâte-toi lentement), La Criée, centre d’art contemporain à Rennes, imagine avec les artistes des formes d’adaptations, d’alternatives et de résistances aux crises écologiques, mais aussi post-coloniales et sociétales qui rythment et affectent le présent. Ce cycle se demande comment programmer, comment agir dans un centre d’art en respectant et prenant soin de celle·ux et ce qui entourent le centre. La ligne directrice de ce second numéro de la revue est « Comment endurer le présent ? ». Cherchant à s’ajuster à des réalités plurielles, complexes, contradictoires, ce numéro laisse entendre différentes voix, qui empruntent des routes collectives et variées pour répondre à cette question.

C’est dans ce contexte que la collective Axxenne, Enz@ Le Garrec et Camille Circlude proposent ce texte écrit à plusieurs mains. Ce texte est la somme d’une longue réflexion face aux violences institutionnelles et extra/intracommunautaire vécues par la collective Bye Bye Binary ces dernières années. Divisé en deux, le texte comprend un manifeste intitulé « LOVE & RAGE » et un article-essai intitulé « Ces colères qui nous honorent ». Chaque scansion du manifeste qui accompagne l’essai est une réponse à une série de situations vécues au fil des années. L’article, quant à lui, est une adresse, une réponse, un geste spéculatif pour décentrer les colères. Les droits et limites matérielles s’appliquent aussi aux travailleur·ses de l’art, s’assurer des conditions de vie décentes et affirmer ce besoin sont prépondérants dans un milieu souffrant de l’abstraction trop présente de la pensée. Affirmer les fiertés, les doutes et les indignations collectives est une forme d’empouvoirement.

Enfin, ce texte est mis en forme par H·Alix Sanyas, Roxanne Maillet et Léna Salabert-Triby. I·Elles font un usage volontaire et abondant de formes graphiques ornementales, camp et kitsch, ainsi que de nombreuses fontes, post-binaires ou non. Outre l’intérêt de dégenrer la langue avec des fontes post-binaires, i·elles convoquent des esthétiques graphiques du surplus, du « mauvais goût », du too much, du vulgaire. De la même manière que les auteur·ices se réapproprient leurs colères dans le texte, les graphistes se réapproprient des esthétiques dépréciées. La stratégie du retournement du stigmate consiste à se réapproprier des insultes pour les transformer en mots de fierté.