CUTE

Conditions d’Utilisations Typographiques Engageantes

Version : 28 juin 2024
Camille Circlude & Enz@ Le Garrec

L’écriture d’un premier cadre de conditions d’utilisations typographiques engageantes (les CUTE) a été finalisé collectivement par Bye Bye Binary en janvier 2024, le texte est disponible en PDF à cette adresse.

CUTE couverture

Ces conditions sont une sorte de contrat, un guide d’usage, utilisables par toute personne souhaitant publier ou utiliser une fonte post-binaire. Elles se détachent de la plupart des licences libres en intégrant la question de l’économie et des conditions matérielles d’existence des dessinateur·ices. Les idées critiques et politiques qui les animent pollinisent ainsi des pratiques graphiques engagées dans une perspective radicalement féministe, antiraciste, anticapitaliste, queer et trans*, pédé·e, bi·e, gouin·e.

Pourquoi les CUTE ?

Depuis 2018, la collective Bye Bye Binary travaille activement au dessin de fontes post-binaires pour permettre à la langue de dépasser les débats autour de l’écriture inclusive.
En 2022, elle publie la première version d’une typothèque. Les caractères diffusés le sont alors sous licences libres (OFL , OIFL ou CC-BY-NC-SA ). Leurs conditions très permissives ainsi que l’héritage et l’approche universalistes ne prennent pas en compte les dynamiques de pouvoir et inégalités économiques structurelles.

Exemple : Une institution importante utilise les caractères sans donation en adéquation avec leurs moyens, alors que des étudiant·es souvent précaires contribuent financièrement à la recherche ?

Après un premier geste de réécriture de l’OFL en langage inclusif, l’OIFL, il est apparu nécessaire à la collective BBB d’écrire des conditions d’utilisations spécifiques aux fontes post-binaires. Les pratiques de partage et l’invitation à modification des licences libres  est cependant une dimension qui est chère à la collective et qui est conservée dans ces CUTE. 

Ces conditions d’utilisation cherchent à naviguer entre les « tensions et paradoxes des politiques de partage »  et la critique de la notion d’autorat. Premièrement, la figure de l’auteur·ice original·e est ambigüe, toute production est infusée des précédentes et s’inscrit dans un continuum de références et de pensée. Deuxièmement, le fait d’apposer une signature sur une production est liée à une histoire d’appropriations de pratiques non-canonisées et négligées par l’histoire dominante. C’est donc une question dont il faut prendre soin, en faisant attention aux références, aux généalogies, aux contextes. Il s’agit « d’éviter l’appropriation abusive en insistant sur une attribution inclusive. » 

Par la rédaction de ces conditions comme outils de résistance, Bye Bye Binary indique un premier cadre d’utilisation pour les utilisateur·ices et permet aux dessinateur·ices de publier leurs fontes selon un rapport de force moins déséquilibré face aux logiques propriétaires et de résister collectivement aux dynamiques d’extraction et de colonisation des savoirs. 

Ces conditions d’utilisation s’inscrivent dans le champ de la typographie et mobilisent plusieurs points d’attention :

  • Le fait que la production de formes typographiques s’inscrit dans une longue histoire de la copie.
  • La circulation des objets typographiques sur les plateformes numériques a tendance à rompre les liens et à rendre notre écosystème moins durable. 
  • La longue histoire d’invisibilisation des personnes minorisées dans le champ de la typographie.
  • La difficulté de garder traces des personnes au sein de pratiques collectives.
  • L’attention aux sources, car référencer permet de ne pas perdre des existences. En l’occurrence celle des messy histories des luttes LGBTQIA+.

Une économie vertueuse

Les fontes distribuées sous ces conditions d’utilisation ont été dessinées par et pour des personnes qui sont solidaires des luttes contre le cis-hétéro-patriarcat, la suprématie blanche, le validisme et le capitalisme. L’utilisation de fontes post-binaires ne saurait évidemment pas se substituer à la mise en place d’autres actions de militance contre ces systèmes d’oppression. 

Ces conditions d’utilisation englobent la question de l’économie vertueuse de la recherche et l’adoption d’une position féministe matérialiste. Recevoir des dons permet de créer les conditions matérielles d’existence pour les chercheur·ses actif·ves dans le champ de la typographie post-binaire. En effet, un soutien financier rend possible la participation de personnes ne pouvant pas se permettre du travail non-rémunéré, encourage les dessinateur·ices à publier plus, et ouvre à une plus grande variété esthétique et politique. Ce domaine de recherche est précaire, il existe sur un fil grâce à quelques subventions et commandes ponctuelles. Intégrer une échelle de donations aux conditions d’utilisation des fontes permet d’insister sur les besoins concrets aux différents endroits de l’écosystème. Ce texte prend ainsi de la distance avec l’idée reçue selon laquelle « libre » équivaut à « gratuit ».

Les cas listés ci-dessous sont des exemples non-exhaustifs car cette échelle de valeur monétaire proposée est située culturellement dans un contexte belgo-français. À vous de vous projeter et d’évaluer votre propre position au sein des dynamiques de pouvoir. L’outil Green bottle sliding scale peut être un outil complémentaire utile pour vous auto-déterminer et responsabiliser vos choix.

Conditions matérielles d’écriture des CUTE

En 2022 et 2023, une série de sessions d’arpentages collectifs de différents cadres de licences a été soutenue par la bourse Vocatio, par l’intermédiaire de Clara Sambot.

Tableau comparatifs des licences existantes

Tableau comparatifs des licences existantes

En 2023 et 2024, les soutiens du FRArt et de la commission Arts Numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont permis de finaliser ce travail et de constituer un tableau comparatif des différents textes. Ce dernier est la base de la rédaction collective des CUTE. 

L’écriture de ces conditions a été faite à plusieurs mains (Ludi Loiseau, Eugénie Bidaut, Mariel Nils, Clara Sambot, Camille Circlude, Enz@ Le Garrec, Laure Giletti, Pierre Huyghebaert avec le regard extérieur de Femke Snelting) et en invite d’autres. Cette première version de janvier 2024 est amenée à évoluer avec la pratique, les retours et les contributions. En publiant le texte de ces conditions sous licence CC4r, nous encourageons encore son déploiement dans d’autres versions.

Bye Bye Binary team CUTE (de gauche à droite : Ludi Loiseau, Laure Giletti, Eugénie Bidaut, Enz@ Le Garrec, Mariel Nils et Camille Circlude) © Ludi Loiseau

Camille Circlude

Camille Circlude, heureux·se membre de la collective franco-belge Bye Bye Binary, enseignanl à l’erg (école de recherche graphique, Bruxelles), graphiste au sein du studio Kidnap Your Designer et chercheulmémoranl du Master en spécialisation en études de genre.