Art vs fonctionnel

La typographie inclusive, non-binaire, post-binaire peut-elle être considérée comme une forme d’art ?

Version : 18 septembre 2022
Camille Circlude

« Je comprends mieux votre projet, c’est un projet artistique,
une vue de l’esprit, il ne pourra jamais être implémenté. »

Source : Furter, L ; Salabert Triby, L., Patard, J. Agité·e, Exposition Subversif·ves, graphisme, genre & pouvoir, Mudac (Lausanne), 2021.

Source : Furter, L ; Salabert Triby, L., Patard, J. Agité·e, Exposition Subversif·ves, graphisme, genre & pouvoir, Mudac (Lausanne), 2021.

Voici une intervention qui a pu m’être faite à la suite d’une conférence, lors d’un moment d’échange avec le public, où je présentais les travaux sur la typographie inclusive, non-binaire, post-binaire. Situer ces travaux dans le champ artistique permettait à cette personne d’être rassurée quant à la possibilité que ces expérimentations deviennent un jour généralisées au point qu’il doive lui-même en faire usage. Placer ces travaux dans le champ artistique permettait une mise à distance rassurante pour lui.

À certains égards, je ne peux pas lui donner tort quand il évoque une « vue de l’esprit ». En effet, depuis les débuts des recherches dans ce domaine, la collective Bye Bye Binary prône la création de « nouveaux imaginaires »[1]. Les recherches étaient si inexistantes que tout était à créer, inventer. À travers ces expérimentations typographiques, il s’agit avant tout d’un espace de représentation, et donc d’expression, pour des personnes (non-binaire, agenre, genderfluid, intersexe, …) ne se reconnaissant pas dans la binarité du régime de la différence sexuelle.

Des formes, comme le caractère Chaîne, recherche une esthétique proche de l’illisibilité, un aspect cryptique à décoder qui permet une reconnaissance par les initié·es. Ce caractère devient un signe de reconnaissance, un marqueur culturel, que seul·es les pair·es sont à même de reconnaître. Il s’agit aussi de multiplier les expériences afin de ne pas assigner de nouvelles normes et d’accueillir toutes les expérimentations y compris les plus complexes[2].

Source : Conant L., Chaîne, 2020.

Source : Conant L., Chaîne, 2020.

Ces expérimentations typographiques produisent de la beauté, des formes de représentations de la réalité, des créations formelles, une expérience esthétique propre et un choc esthétique. En cela, elles peuvent être considérées comme de l’art si on s’en tient à la définition de l’art en vogue dans les années 70’ (Tatarkiewicz 1971). L’aspect pionnier des ces recherches permettent également de les classer dans le domaine artistique, c’est toute l’histoire des avant-gardes.

​​« (…) l’esthétique de la priorité l’emporte sur celle de la perfection, et la valeur de position historique, sur la valeur artistique absolue. »
(Klein, 1970, p. 19 in Moulin, 1986).

Par ailleurs, les dessinateur·ices de caractères typographiques poursuivent leur formation dans des écoles d’art, où les disciplines d’arts appliqués (design graphique, communication visuelle, typographie, …) côtoient les pratiques artistiques (dessin, peinture, sculpture, …), ce qui vient légitimer l’idée que la typographie est une forme d’art.

Bartolini, T. & Circlude, C. Le génie isolé n'existe pas, Festival Extra!, Centre Pompidou, septembre 2022.

Source : Bartolini, T. & Circlude, C. Le génie isolé n’existe pas, Festival Extra!, Centre Pompidou (Paris). 2022.

En 2020, la Tribune de Genève[3] définit le travail de Tristan Bartolini comme « la première typographie inclusive » et opère, par la même occasion, une distorsion historique puisqu’il ne s’agit en rien de la première. Comme l’indique Bye Bye Binary dans son communiqué de presse, « La typographie inclusive, un mouvement ! »[4], ces recherches en typographie sont le fruit d’une action collective, d’un ensemble d’interactions, d’une variété d’acteurs sociaux (Becker, 1982 in Zolberg, 1990) et non le fait d’un génie isolé[5]. Les pratiques collectives simultanées sont-elles ici considérées comme œuvre d’art, et par qui ?

L’espace médiatique semble encore fort peu enclin à considérer l’art en dehors de l’expression spontanée d’un génie individuel (Zolberg, 1990). Depuis 2020, certains médias (Le magazine M du Monde, Arte, Libération) ont rectifié le tir en présentant les travaux de façon plus collective, malgré tout le public a été marqué par la découverte de ces recherches au travers d’un seul nom qui reste gravé de façon erronée comme précurseur. En 2022, la programmation de la collective Bye Bye Binary au Centre Pompidou dans le cadre du festival Extra ! permet à la collective d’inviter, Tristan Bartolini, en combo avec Camille Circlude, à boucler la boucle de cette distorsion historique. Réuni·es en binôme pour la circonstance, nous déconstruisons l’idée romantique du génie isolé en détournant ses attributs vers le collectif. La position d’institutions comme celle du musée, qui glorifie des destins individuels au détriment de trajectoires collectives, est aussi questionnée dans notre proposition graphique.

Aujourd’hui, nous voyons apparaître cette forme de validation par certaines institutions culturelles qui passent commande de ces formes soit à des fins curatoriales ou à des fins communicationnelles. Ces institutions actionnent un triple effet de légitimation, à la fois celui de la légitimation des pratiques typographiques apportant la reconnaissance sociale aux dessinateur·ices, mais aussi leur propre légitimation en tant que dénicheur·ses de talents, cherchant continuellement de nouveaux artistes à promouvoir (Moulin, 1986), ainsi que la légitimation de leurs positions progressistes en faveur de l’inclusion de personnes minorisées. Il peut être à craindre une dérive de queerwashing dont il est important de se préserver, tant que faire se peut, c’est le jeu des alliances partielles[6].

Bye Bye Binary. Festival Extra!, Centre Pompidou (Paris). 2022.

Source : Bye Bye Binary. Festival Extra!, Centre Pompidou (Paris). 2022.

La curation

Source : Bye Bye Binary. Queer Bloc. Biennale de Design de Saint-Etienne. 2019. (photo ©La fille d'à côté).

Source : Bye Bye Binary. Queer Bloc. Biennale de Design de Saint-Etienne. 2019. (photo ©La fille d’à côté).

Source : Bye Bye Binary, fresque typographique, Exposition Masculinities, Musée Mode & Dentelle (Bruxelles), 2020.

Source : Bye Bye Binary. Exposition Masculinities, Musée Mode & Dentelle (Bruxelles). 2020.

En avril 2019 Bye Bye Binary performe un Queer Bloc, dans la ville recomposée de Stefania lors de la Biennale de Design de Saint-Etienne (FR); en juillet 2020 la collective réalise une fresque murale pour l’exposition Masculinities au Musée Mode & Dentelles de Bruxelles (BE) ; en mai 2021 la collective participe à l’exposition Subversif·ves, graphisme, genre & pouvoir au Mudac de Lausanne (CH) , ainsi qu’à The Many-Faced God·dess, à la Maison populaire de Montreuil (FR): en septembre 2021 le Centre Wallonie-Bruxelles de Paris (FR) invite la collective à exposer et à performer dans les rues du Marais ; en janvier 2022 Recyclart à Bruxelles (BE) invite la collective à investir son lieu ; en avril 2022 une rétrospective des travaux est donnée à voir à la Galerie de l’erg à Bruxelles (BE); en juin 2022 la collective participe à l’exposition Queer Rising à La Fabrique de Toulouse (FR), e.a.

En septembre 2022, les expérimentations typographiques de Bye Bye Binary entrent au Centre Pompidou par la voie du festival Extra!, le festival de la littérature vivante. Neuf affiches originales grand format sont réalisées pour l’occasion. Comme point de départ pour la création graphique : les colères qui nous animent. Cette thématique fait écho au Salon des Colères programmé dans le cadre du festival. Pour la réalisation de ces affiches, des invitations sont formulées : Marie-Mam Sai Bellier, Emilie Aurat et Tristan Bartolini rejoignent la collective pour cette exposition.

En déplaçant ces objets graphiques de la militance vers des espaces de monstration, des glissements s’opèrent à plusieurs niveaux :

  1. Les objets graphiques sont considérés comme des œuvres en tant que telles et plus comme des outils de l’action directe. Par exemple, les drapeaux imprimés exposés n’ont jamais été utilisés en manifestation. Ils ont été conçus directement pour l’espace d’exposition ou en vue d’être utilisés lors de performances. À l’inverse, les banderoles réalisées par Bye Bye Binary pour les manifestations du 8 mars ont d’abord été utilisées en manifestation pour ensuite trouver leur place en tant qu’objets exposés. Le glissement peut s’opérer dans les deux sens.
  2. Les objets graphiques ne sont plus aux mains des utilisteur·ices, mais ils se laissent regarder sans être utilisés.
  3. L’intention des objets graphiques est déplacée de l’aspect fonctionnel de la typographie vers un objet d’art.
Source : Bye Bye Binary. Exposition Queer Rising (Toulouse). 2022.

Source : Bye Bye Binary. Exposition Queer Rising (Toulouse). 2022.

La commande

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

D’autres institutions culturelles souhaitent faire identité grâce à la typographie elle-même peuvent financer, si pas la commande d’un caractère complet qui demande plus de moyens, à minima celle d’un fork inclusif d’une fonte existante sous licence libre qui permet un dessin alternatif. En passant commande et offrant une rémunération (parfois symbolique), ces institutions culturelles font également office de mécènes, commanditaires, permettant de soutenir la création et la recherche.

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

Source : Bye Bye Binary. BBB BNM Lunch Fluid Mutantxs Friendly. Ballet national de Marseille. 2021.

Source : Bye Bye Binary. BBB BNM Lunch (Fluid, Mutantxs, Friendly). Ballet National de Marseille. 2021.

En 2020, Wallonie-Bruxelles Design Mode permet d’augmenter le travail en cours sur le BBB Baskervvol. C’est en relevant les usages dans la mise en page de leur livre anniversaire, 15 Years WBDM 30 Interviews, qu’il a été possible de passer d’une dizaine de glyphes dessinés pendant le workshop de novembre 2018 à plus de 40 glyphes. Ce relevé a également servi, e.a., à la mise en place du Queer Unicode Initiative. En septembre 2021, Bye Bye Binary anime un workshop au Ballet National de Marseille (direction (LA)HORDE) sous l’invitation d’Alice Gavin Services. En résulte un fork collectif du caractère existant Lunch en trois graisses déclinées : la Friendly, la Fluid et la Mutantxs.

En 2022, plusieurs acteur·ices culturell·es à Bruxelles se dotent de forks dont une première Google Fonts, la Poppins pour le Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Le festival FAME, avec un fork de la Sprat, ou encore le Théâtre de La Balsamine, avec un fork de la Karrik ont commandé le dessin de typographies inclusives spécifiques pour leurs identités graphiques respectives.

Source : Bidaut, E. & Circlude, C., BBB Poppins. Théâtre National Wallonie-Bruxelles (Bruxelles). 2022.

Source : Bidaut, E. & Circlude, C. BBB Poppins. Théâtre National Wallonie-Bruxelles (Bruxelles). 2022.

Source : Lamouroux, Q. & Sambot, C. BBB Karrik. La Balsamine (Bruxelles). 2022. (image © Kidnap Your Designer)

Source : Lamouroux, Q. & Sambot, C. BBB Karrik. La Balsamine (Bruxelles). 2022. (image © Kidnap Your Designer)

Il n’est pas surprenant de voir des institutions dans le secteur du théâtre, de la danse et de la performance se positionner sur cette question puisqu’i·els travaillent directement à la représentation des corps. La typographie est une extension de l’espace symbolique de la représentation. La typographie inclusive, cette drag queer qui vous parle.

A contrario, alors que plusieurs chercheur·ses en typographie planchent sur les aspects fonctionnels pour une plus grande accessibilité au grand public, le classement de ces recherches dans le domaine « artistique » a comme effet contradictoire de les discréditer. Tel était l’objectif de l’interpellation citée précédemment : si les expérimentations typographiques sont de l’art, elles ne peuvent pas être implémentées.

Source : Bidaut, E. & Patard, J. BBB Sprat. Fame Festival (Bruxelles). 2022.(image © Kidnap Your Designer).

Source : Bidaut, E. & Patard, J. BBB Sprat. Fame Festival (Bruxelles). 2022. (image © Kidnap Your Designer).

Alors que oui, la mise en place du Queer Unicode Initiative (QUNI) en 2021, protocole d’encodage commun dans le système Unicode, permet de coordonner les différentes expérimentations typographiques et d’en faciliter l’usage par des non-initié·es dans les logiciels de traitement de texte, de façon à rendre ces recherches plus accessibles à toust·es. En favorisant la licence libre et la mise à disposition gratuite de ces fontes via une typothèque[7], la collective vise aussi à diffuser largement ses recherches.

Par la matérialité de cette typothèque accessible à toust·es, la collective opère un glissement beaucoup plus tangible du champ de l’art, alors que les recherches en étaient à un stade non-fonctionnel, vers une réappropriation de ces expérimentations en tant qu’outil par un large public, en dehors des graphistes initié·es. Nous pouvons y voir des allers-retours entre culture basse (les premières expérimentations typographiques des fanzines militants, Abbou, 2011) vers la culture haute (commande de musées, expositions, mécénat) et à nouveau un retour vers la culture basse (grâce aux outils de diffusion et la prolifération des pratiques); ce qui correspond à la démocratisation culturelle chez Bourdieu, l’art de haute culture pour toust·es.

Source : Maubouss M., pronoms non-binaires sur marbre, typographie DINdong Sambot C. Galerie de l'erg (Bruxelles). 2022.

Source : Maubouss M., pronoms non-binaires sur marbre, typographie DINdong Sambot C. Galerie de l’erg (Bruxelles). 2022.

La mise à disposition de ces typographies en licence libre inspire des œuvres gravées dans le marbre à Maxime Maubouss, qui expose et vend ses pièces dans une économie plus classique sur le marché de l’art, en leur attribuant un prix et en les exposant. La matérialité du marbre comme support légitime-il davantage la typographie comme œuvre d’art ? Peut-on considérer la typographie comme œuvre elle-même ? Læ dessinateur·ice de caractères est-i·el moins ou plus l’auteur·ice / artiste que læ tailleur·se de pierre ?

Que les expérimentations typographiques soient vues comme artistiques et/ou fonctionnelles, elles sont toutes les deux valorisées et légitimes, la collective Bye Bye Binary ayant fait le choix du non-choix pour permettre à toust·es d’exister.

Si nous sommes en accord avec le postulat que certaines formes d’art peuvent être l’expression d’un contre pouvoir, reste alors à trancher la question de savoir si un outil émancipateur dans les mains de toust·es n’est pas une certaine forme d’art ?

Source : Maubouss M., typographie inclusive sur marbre, typographie Homoneta, Lamouroux Q., Galerie de l'erg (Bruxelles). 2022.

Source : Maubouss M., typographie inclusive sur marbre, typographie Homoneta, Lamouroux Q., Galerie de l’erg (Bruxelles). 2022.

Bibliographie

Abbou, J. (2011). L’antisexisme linguistique dans les brochures libertaires. Pratiques d’écriture et métadiscours. Thèse de doctorat en Sciences du Langage, Université d’Aix-Marseille.

Abbou, J. (2013). Pratiques graphiques du genre, Langues et cité, Numéro 24.

Bourdieu, P. (1991). Le champ littéraire, Actes de la recherche en sciences sociales, vol.89, n°1, p.19.

Dumont, F., Sofio, S. (2007). Esquisse d’une épistémologie de la théorisation féministe en art. Cahiers du genre, 43(2), 17-43.

Haraway, D. (1988). Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective. Feminist Studies.

Moulin, R. (1986). Le marché et le musée. La constitution des valeurs artistiques contemporaines. Revue française de sociologie, XXVII, 369-395.

Nochlin, L. (1971). Why have there been no great women artists [Archives]. France: Artenews.

Nochlin, L. (1993). Femmes, art et pouvoir: et autres essais. France: Editions Jacqueline Chambon.

Tatarkiewicz, W. (1971). What is Art ? Problem of Definition Today, British Journal of Aesthetics, 11 (2):134.

Zolberg, V. (1990). Are artists born or made? In Constructing a Sociology of the Arts (Contemporary Sociology, pp. 107-135). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9780511557712.006

  1. « Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive » était le titre du premier workshop organisé par la collective Bye Bye Binary.
  2. voir « Le Queer est-il lisible ? » https://typo-inclusive.net/accessibiliteinclusive/#post-458-_wvisny76sysr
  3. Estebe, J. (2020). Un genevois crée la première typographie inclusive. Tribune de Genève, publié le 20 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : www.tdg.ch/un-genevois-cree-la-premiere-typo-inclusive-168461901432
  4. Bye Bye Binary. (2020). La typographie inclusive, un mouvement*! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine.
    publié le 23 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : http://genderfluid.space/2020_10_25_communique-presse-ByeByeBinary.pdf
    repris par Friction Magazine : https://friction-magazine.fr/la-typographie-inclusive-un-mouvement/
  5. Précédemment développé (Circlude & Bigingo, 2021).
    https://typo-inclusive.net/emergence-de-nouvelles-formes-typographiques-non-binaires-ligatures-et-glyphes-inclusives-les-alternatives-au-point-median-et-au-doublet-principalement-observes-dans-les-milieux-activistes-queer-e/
    L’idée romantique du Génie (Nochlin, 1971 ; Dumont & Sofio, 2007), détaché du reste de l’humanité reste un mythe qui n’est pas questionné, qui fait sensation dans les médias et qui continue d’être perpétué inlassablement. L’attrait de la découverte (l’aspect dénicheur de talent) et la glorification individuelle du génie sont deux caractéristiques de ce principe systémique que l’appareil médiatique reproduit en réalisant des distorsions historiques. L’annonce tonitruante de cette « découverte » attribuée à un seul homme démontre qu’il est très difficile d’attribuer un champ de recherche à une collective mouvante. En effet, nous pouvons observer une tendance à l’auto-invisibilisation des individus de la part des collectifs féministes/queer/trans-pédé-bi-gouines au profit de démarche collective (usage de la forme collective, collaborative, anonymat,…). Cette tendance vertueuse qui a pour but de mettre au centre le travail, la pratique, la démarche plutôt que les personnes se retournent contre elles dans l’espace médiatique encore trop peu enclin à ce type d’entité multiple et pour qui la personnification du débat reste un incontournable. Cette mésaventure aura tout de même permis à Bye Bye Binary de montrer qu’une recherche peut être menée collectivement, avec des méthodes de recherche féministes (Oakley, 1981) en mettant la question des origines — ici les expériences pronominales de Monique Wittig dans l’Opoponax (on), Les Guérillières (elles) et Le corps lesbien (j/e), ainsi que les travaux des pionnier·es contemporain·es (Roxanne Maillet, Clara Pacotte, Justin Bihan, Clara Sambot, etc.) — comme fondamentale pour comprendre tout mouvement intellectuel ou politique (Thébaut, 1998).
  6. Les relations de la collective aux institutions peuvent être définies comme « connections partielles » (dans le sens entendu par Haraway) : nous nous allions pour des besoins spécifiques dans des conditions spécifiques, sans pour autant embrasser l’ensemble des positions des partenaires. C’est en réalisant ces alliances partielles, en s’immisçant dans les institutions et en tirant à ell·eux les ressources nécessaires à leurs existences, que les dissidentes de l’écriture au masculin hégémonique deviennent acteuri·ces de leurs pratiques.
  7. https://typotheque.genderfluid.space/

 

Camille Circlude

Camille Circlude, heureux·se membre de la collective franco-belge Bye Bye Binary, enseignanl à l’erg (école de recherche graphique, Bruxelles), graphiste au sein du studio Kidnap Your Designer et chercheulmémoranl du Master en spécialisation en études de genre.