Lisibilité. Fonte : DINdong (Clara Sambot).
Lisibilité. Fonte : DINdong (Clara Sambot).

Écriture inclusive: obstacle infranchissable pour les personnes dys? Synthèse d’une étude de lisibilité

Version : 30 novembre 2022
Sophie Vela

Préambule

En janvier 2022, j’entreprenais de mener une étude sur la lisibilité des écritures inclusives pour les personnes ayant des troubles cognitifs impactant leur lecture et notamment les troubles dys, pour faire suite à mon mémoire rédigé à ce sujet. Souvent brandi comme un argument intouchable contre l’écriture inclusive, la dyslexie n’avait à ce jour jamais fait l’objet que d’une seule étude[1], dont les échantillons ne contenaient pas de typographies inclusives.

Face à ce constat et avec le besoin de comprendre si ces difficultés existaient, j’ai mené moi-même ce travail de recherche en allant à la rencontre de personnes concernées.

J’ai réalisé cette étude sans financement, dans le cadre d’une résidence de quatre mois à l’Hôtel Pasteur, tiers-lieu rennais accueillant divers projets.

Je me suis inspirée des prémices de l’étude réalisée par Camille Circlude et Christella Bigingo dans le cadre de leur Master de spécialisation en études de genre de la Fédération Wallonie-Bruxelles. I·els n’avaient pas pu poursuivre cette étude faute de cadre et de financement.

Par cette étude, on cherche à répondre à trois questions:
– L’écriture inclusive est-elle illisible pour les personnes dyslexiques?
– Quelles formes d’écritures inclusives posent des difficultés de lecture et pourquoi?
– Si des difficultés existent, sont-elles un frein à la compréhension d’un texte?

L’étude a été réalisée sur un échantillon de 140 volontaires, dont:
– 70 personnes sans difficultés de lecture composant le groupe témoin,
– 70 personnes ayant des troubles impactant leur lecture (troubles dys, troubles de l’attention, troubles du spectre autistique…) composant le groupe d’étude.

Photo d'un livret d'étude, ouvert.

Source: VELA, S., photographie d’archive de l’étude “Ecritures inclusives accessibles”, 2022

Sur ces 140 personnes, 22 ont participé à l’étude par le biais d’entretiens individuels ou collectifs. Les 118 autres ont rempli un formulaire numérique.

Afin d’obtenir des résultats hétérogènes et les plus neutres possibles, j’ai cherché à atteindre une mixité de genre et d’âge parmi les participant·es. De prime abord, il paraît évident que les femmes, personnes non-binaires, genderfuid et autres minorités de genre se sentent davantage concernées par l’utilisation de l’écriture inclusive, et que les jeunes générations sont plus habituées à la rencontrer à l’écrit, notamment via les réseaux sociaux.

 

Présentation de l’étude

Cette étude se base sur la lecture de 24 phrases courtes composées avec 5 caractères typographiques inclusifs[2] différents. Chaque caractère est décliné en différentes formes d’écriture inclusive: écriture épicène, utilisation du point médian et utilisation de ligatures inclusives expérimentales.
– Les caractères avec empattements BBB Baskervvol (Bye Bye Binary) et Times New Roman Inclusif (Eugénie Bidaut) ont été choisis pour leur proximité avec des polices plus habituelles telles que la Times New Roman
– Le choix de l’Homoneta (Quentin Lamouroux) a été fait pour son utilisation massive de ligatures (au-delà des ligatures inclusives)
– Les BBB BNM Lunch (Bye Bye Binary) et DIN Dong (Clara Sambot), sans empattements, ont des formes et largeurs de lettres variables et hors-normes, ce qui est parfois recommandé dans l’apprentissage de la lecture pour les personnes dyslexiques[3].

Vue d'exemples de trois pages de l'étude. Sur chacune, on voit trois phrases rédigées en inclusif, en utilisant soit le point médian, soit l'écriture épicène, soit des glyphes inclusifs. Le tout avec un caractère différent à chaque fois.

Source: VELA, S., échantillons utilisés dans l’étude “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Certaines phrases ont été rédigées entièrement en capitales, car cela a un impact sur la rapidité et facilité de lecture pour certaines personnes dyslexiques, et elles ont un caractère répétitif pour pouvoir comparer les différentes propositions.

Les phrases ont été réparties en 8 groupes de 3, tels que 1a, 1b, 1c, 2a, 2b, 2c, etc. Pour chaque groupe de phrase, on demandait:
– Avez-vous compris le sens des phrases?
– Avez-vous eu des difficultés de compréhension? Si oui, lesquelles?
– Avez-vous eu des difficultés de lecture (déchiffrage de certains mots/lettres)?
– Si oui, lesquelles?

On peut préciser ici la différence entre
– les difficultés de compréhension qui ne relèvent que de la compréhension sémantique des phrases ; il est possible de comprendre le sens d’une phrase même s’il nous faut des efforts pour la lire
– les difficultés de lecture qui relèvent de la lisibilité des caractères et de leur facilité de déchiffrage.

Avant d’analyser les réponse des participant·es, et suite à plus d’un an de recherche sur le sujet, j’avais émis la théorie que l’écriture inclusive n’est pas un obstacle à la compréhension d’un texte puisque nous lisons non pas en nous attardant sur chaque lettre mais bien en saisissant la globalité d’un mot, voire d’une phrase[4]. Vous avez d’ailleurs sûrement déjà vu ce test de lecture populaire :

Texte nommé "l'ordre des lettres" où dans chaque mot, les lettres sont mélangées, à l'exception de la première et de la dernière, afin de montrer que cela n'est pas un obstacle à la bonne lecture du texte.

Source: image populaire circulant sur les réseaux sociaux, source inconnue

Je n’ai pas pu identifier la source de cette étude[5] ni même vérifier qu’une telle étude ait existé, mais le constat est là: vous avez sûrement réussi à lire ce texte malgré l’inversion des lettres au sein des mots.

Un des manques de cette étude est la lecture de textes plus longs, qui a été impossible par manque de temps. Ainsi, la forte présence des ligatures dans ces phrases courtes peut donner l’impression qu’un texte long en serait fortement chargé. Or, en réalité, l’écriture inclusive ne concerne qu’un champ grammatical réduit; celui des accords, et ne s’applique donc pas à l’ensemble des mots d’un texte. On peut prendre exemple sur un texte de littérature classique, comme cela m’a été suggéré. Ici un extrait de Guerre et Paix de Léon Tolstoï, rendu plus inclusif:

Extrait de Guerre et Paix en écriture inclusive.

Source: Tolstoi, L, Guerre et Paix, 1865. (extrait composé en Times New Roman Inclusif, Bidaut, E.)

Les phrases proposées dans l’étude ont donc été formulées de sorte à accentuer l’utilisation de l’écriture inclusive, malgré leur faible nombre de mots.

Composition des groupes

De façon générale, il ne m’a pas été simple de réunir le nombre espéré de participant·es, et il m’a surtout été très complexe de toucher des hommes. J’ai dû, à un moment de l’étude, ne plus accepter de participations de femmes, personnes non-binaires, genderfluid, et autres minorités de genre afin de tenter d’équilibrer la balance. Les hommes représentent finalement moins d’⅓ de l’ensemble des participant·es (21 dans le groupe d’étude et 31 dans le groupe témoin).

En fin de questionnaire, les participant·es pouvaient préciser si i·els pensaient être informé·es en termes de questions de genre. Seul·es 10 d’entre elle·ux ont répondu n’être pas ou peu sensibilisé·es. Ce constat se rapproche des arguments avancés dans un précédent article présentant la critique de l’écriture inclusive comme, entre autres, un biais sexiste sans fondements.

L’âge des participant·es s’étend de 16 à 59 ans, avec une majorité de participant·es ayant entre 20 et 35 ans, et près de la moitié (65 personnes) ayant entre 20 et 25 ans. Si les deux groupes sont plutôt homogènes, on constate une moyenne d’âge plus élevée dans le groupe témoin qui peut s’expliquer par des diagnostics plus rares chez les personnes de plus de 35 ans[6].

Malgré une tentative d’avoir un échantillon de personnes mixte en termes d’âge et de genre, on constate que les jeunes, les femmes et les personnes queer composent la majorité des répondant·es à l’étude.

Question d’habitude?

Les 140 participant·es ont pu partager leurs habitudes quant à la lecture des écritures inclusives. À la question «Avez-vous déjà rencontré l’écriture inclusive? Sous quelle forme?»
– 20 personnes ont affirmé ne l’avoir jamais rencontrée, quelle que soit sa forme;
– 60 personnes affirment avoir déjà vu le point médian en usage, mais jamais les glyphes inclusifs;
– 60 personnes ont simplement répondu « oui », sans plus de précisions, on ne peut donc affirmer précisément quelles formes elles avaient déjà rencontrées.

On peut affirmer qu’au moins 80 personnes n’avaient jamais vu d’expérimentations typographiques inclusives, soit plus de 50% du groupe interrogé.

Dans le groupe d’étude comme dans le groupe témoin, les personnes affirmant n’avoir jamais rencontré l’écriture inclusive ont entre 18 et 59 ans et celles répondant un oui franc ont entre 18 et 51 ans. Contrairement aux idées reçues, on constate que l’écriture inclusive n’est pas qu’une question de génération. On précisera que les personnes étrangères à l’écriture inclusive sont légèrement plus nombreuses dans le groupe d’étude.

La question de l’habitude a donc ici une place non négligeable: la lecture est un apprentissage, ainsi il est évident que lorsque nous voyons une lettre ou un signe typographique pour la première fois, il nous faut un temps d’adaptation et de réflexion. En discutant des résultats avec Christella Bigingo, elle me rappelle d’ailleurs que c’est le principe même de l’apprentissage de la lecture: lire, relire plusieurs fois la même chose avant de la comprendre. Ce point est important pour analyser les résultats qui vont suivre.

Compréhension sémantique

Avec 24 phrases par participant·es et 140 participant·es, c’est un total de 1920 phrases qui ont été lues. Parmi elles, seulement 72 ont posé un doûte sémantique, et 35 n’ont pas été comprises. 95% des propositions ont donc été comprises sans accroc, et ce de façon égale dans les deux groupes.

Les doutes ont été émis par 37 personnes (soit en moyenne 3 phrases incomprises par personne) de tout âge (22 à 59) et de tous genres (16H, 12F, 9Q), ce qui signifie que 103 personnes n’ont eu aucun doute sur le sens des phrases qui étaient proposées.

Graphique sur la compréhension sémantique, de type "camembert". On y lit que la presque totalité des personnes ont compris le texte, et que seules quelques unes ont eu un doute ou n'ont pas compris.

Source: VELA, S., graphique issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Cependant, certaines personnes ont exprimé des difficultés[7] malgré la compréhension globale de la phrase – on en déduit plusieurs lectures avant de saisir totalement le sens. En s’y penchant de plus près, on constate que les phrases qui ont posé le plus de difficultés sont les mêmes dans chacun des groupes. Si les personnes du groupe d’étude sont plus nombreuses à avoir exprimé des difficultés pour ces trois exemples, l’écart avec le nombre de personnes en difficulté dans le groupe témoin reste faible.

Tableau comparant les difficultés des groupes d'étude et témoin sur 3 échantillons différents.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

On peut remarquer que le point médian n’apparaît pas dans les propositions énoncées ci-dessus. En effet, les phrases l’utilisant ont posé au maximum 6 difficultés chacune (tous groupes réunis) et pour 5 d’entre elles, davantage de difficultés sont énoncées par le groupe témoin, ce qui nous permet d’éliminer dans ce cas précis la théorie selon laquelle c’est la dyslexie qui provoque des difficultés de lecture de l’écriture inclusive .

Avec ces résultats, nous pouvons donc affirmer que l’écriture inclusive ne complexifie que peu, voire pas, la compréhension d’un texte lorsqu’elle utilise le point médian, forme la plus répandue des écritures inclusives, y compris pour les personnes ayant des troubles cognitifs impactant la lecture.

L’utilisation de ligatures non-binaires, quant à elle, complexifie davantage la compréhension, notamment pour les personnes dys, mais cette complexité est présente dans les deux groupes. Nous l’avons vu, ces ligatures étaient inconnues pour de nombreux·ses participant·es, il semble cohérent qu’elles compliquent légèrement leur lecture, créant de nouveaux mots et/ou déformant les lettres auxquelles nous sommes habitué·es.

Lisibilité

On entend par lisibilité ce qui touche au déchiffrage des lettres. Ici, ce sont 648 difficultés (sur 1920 phrases lues) qui ont été énoncées par l’ensemble des participant·es.

On constate que si le groupe d’étude déclare davantage de difficultés (389), l’écart n’est pas immense avec le groupe témoin (259), et que des difficultés de déchiffrage sont exprimées par la plupart des participant·es. Seules 13 personnes sur les 140 interrogées indiquent n’avoir eu aucune difficulté de lisibilité, dont 8 sont du groupe témoin et 5 du groupe d’étude. Ainsi, 90% des personnes interrogées ont exprimé au moins une difficulté de lecture parmi les 24 phrases.

Reste alors à comprendre quelles sont ces difficultés. Parmi les phrases étudiées, 3 ont posé problème à plus de 50% des participant·es. Ces trois échantillons ont compliqué la lecture des personnes concernées comme témoin, avec un écart d’environ une dizaine de personnes entre les deux groupes.

Comparaison des réponses des deux groupes sur trois échantillons. On remarque que les résultats sont relativement proches à chaque fois.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

 

Sept autres échantillons ont posé problème à au moins 28,6% du groupe d’étude:

 

Comparaison des réponses des deux groupes sur 7 échantillons utilisant des glyphes inclusifs.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

À l’exception du deuxième échantillon qui utilise le point médian, l’ensemble des propositions ayant été compliquées à déchiffrer font usage de ligatures inclusives. Aucune des 7 propositions faisant usage du point médian n’a provoqué de difficultés à plus de 25% des participant·es, et 4 d’entre elles ont posé problème à moins de 10 personnes (7%) – tous groupes confondus.

Sur l’ensemble des difficultés de lecture liées à l’écriture inclusive, on constate cette répartition:
– 16% de difficultés liées à l’utilisation du point médian;
– 84% de difficultés liées à l’utilisation de typographies inclusives.

De manière générale, les difficultés, lorsqu’elles sont énoncées, peuvent être réparties en deux groupes :
– le besoin de plusieurs lectures ou une lecture plus lente du texte;
– l’impression qu’il manque des lettres ou qu’elles sont coupées.

Dans le premier cas, on ne peut pas parler d’une impossibilité à déchiffrer le texte mais plutôt de s’habituer aux nouvelles lettres en s’y attardant davantage, comme dans tout processus d’apprentissage. Dans le second cas, on constate l’incompréhension face à de nouvelles lettres qui ne ressemblent pas à celles que nous connaissons, et qui sont donc compliquées à assimiler.

Résultats croisés

Pour mettre plus de sens à ces résultats, il est nécessaire de comparer les difficultés de lecture et de compréhension, même si nous avons déjà vu que ces dernières sont assez peu significatives. Pour cela, nous pouvons prendre exemple sur les 4 échantillons revenant le plus souvent dans les difficultés exprimées par les participant·es.

Tableau comparant les difficultés de lecture et de lisibilité de chacun des groupes, pour 4 échantillons. On y voit que souvent, les personnes ayant eu des difficultés de lisibilité sont bien plus nombreuses que celles ayant eu des difficultés de compréhension, et qu'il est donc possible de comprendre une phrase malgré quelques difficultés.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Nous pouvons donc affirmer que les difficultés de lecture liées au point médian, bien qu’elles existent pour certaines personnes, n’empêchent pas la compréhension d’un texte court dans la grande majorité des cas. Ensuite, nous pouvons comparer les habitudes de lecture des participant·es à leurs difficultés de lecture. Si 20 personnes n’avaient jamais rencontré le point médian, seules deux propositions l’utilisant ont posé problème à plus de 20 personnes, uniquement en termes de lisibilité. Cela signifie que certaines personnes n’ayant jamais vu cette forme d’écriture n’ont pour autant eu de difficultés ni à la lire ni à la comprendre.

Pour ce qui est des ligatures inclusives, 80 personnes n’y avaient jamais été confrontées. Seuls deux échantillons en utilisant ont posé des difficultés à 80 personnes ou plus. Ce qui signifie, ici encore, que certain·es participant·es découvraient pour la première fois ces expérimentations et ont tout de même réussi à les lire et à les comprendre.

Enfin, on constate que les personnes étrangères à l’écriture inclusive étaient plus nombreuses dans le groupe d’étude: cela peut-il expliquer l’écart de difficultés entre les deux groupes, et donc écarter la théorie qui attribue des difficultés supplémentaires pour les personnes dyslexiques. Seule une étude sur un échantillon plus important de personnes pourrait le confirmer, mais c’est une théorie probable au vu de l’ensemble de ces résultats.

Comparaison de deux graphiques type "camembert", l'un est "avez vous déjà vu des ligatures inclusives" et l'autre est "avez-vous eu des difficultés avec la proposition 8C" (proposition contenant des glyphes inclusifs). On voit que les deux camemberts sont presque similaires, ce qui marque l'importance de l'habitude dans la bonne lisibilité.

Source: VELA, S., graphiques issus des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Conclusion

On ne peut nier que des difficultés existent à la lecture de phrases utilisant l’écriture inclusive mais
– elles n’empêchent pas la compréhension sémantique des phrases;
– elles existent majoritairement lors d’utilisation de ligatures inclusives, signes typographiques qui étaient pour plus de la moitié des participant·es inconnues avant de répondre à l’enquête;
– elles sont plus nombreuses chez les personnes ayant des troubles cognitifs tels que la dyslexie, l’autisme, les troubles de l’attention, mais elles existent aussi chez les personnes n’en ayant aucun, dans une moindre proportion;
– le nombre de personnes ayant rencontré des difficultés de lecture est souvent inférieur au nombre de personnes n’ayant jamais rencontré l’écriture inclusive.

Nous pouvons donc en conclure que l’écriture inclusive n’est pas «illisible pour les personnes dys», comme on l’entend souvent, et même préciser plus globalement, qu’elle n’est pas illisible en soi. En effet, l’écriture inclusive utilisant le point médian – la plus répandue aujourd’hui – n’empêche pas la compréhension sémantique des textes et ne freine que très peu le déchiffrage des lettres. De leur côté, les ligatures inclusives, ces nouvelles lettres tendant vers la non-binarité de l’écriture, ont demandé des efforts à de nombreux·ses participant·es, mais i·els les découvraient pour la première fois, et ont pour autant compris le sens des phrases qui en utilisaient.

En comparant le nombre de personnes ayant eu des difficultés, et le nombre de celles n’ayant jamais vu les signes typographiques qui créent l’inclusif (point médian et/ou ligatures), on constate que ces difficultés découlent indéniablement d’un manque d’apprentissage et d’habitude vis-à-vis de celles-ci, quel que soit le handicap, l’âge et l’identité de genre de chaque personne.

La solution aux difficultés qui persistent reposent donc sur un élément majeur : l’apprentissage. Je concluerais cette synthèse par cette citation d’un participant à l’étude, porteur de plusieurs troubles dys :

«  Tout ce que j’arrive à lire, c’est parce que je l’ai appris en séance d’orthophonie. Si, durant mes séances, j’avais découvert l’écriture inclusive, je n’aurais aujourd’hui aucun mal à la lire. Certes, cela me demande donc des efforts, mais ça en vaut la peine pour inclure tout le monde.  »

  1. Bulteau, J. (2021), De la nécessité d’étudier l’accessibilité des écritures inclusives aux personnes dyslexiques [Mémoire, l’École Nationale Supérieure de Cognitique (ENSC) de Bordeaux]
  2. Dessins de caractères issus du mouvement de la typographie inclusive, répertoriés dans cet inventaire : https://typo-inclusive.net/inventaire/
  3. c.f. Vidéo de Christian Boer donnant des recommandations pour des typographies plus accessibles aux personnes dys. C. Boer est dessinateur de caractère et dyslexique. Dyslexie Distributor AuxiliDys
  4. Vela, S. (2021), « Avez-vous pensé aux marges? » [Mémoire de master, EESAB Rennes]
  5. En 2003, Matt Davis, chercheur à Cambridge au Groupe Langue et Discours de l’Unité des Sciences de la Connaissance et du Cerveau du Medical Research Council signalait qu’il n’y avait aucune recherche menée à Cambridge sur le phénomène décrit.
  6. Plusieurs participant·es de plus de 40 ans m’ont expliqué ne pas avoir de réel diagnostic et avoir compris tardivement qu’i·els étaient dyslexiques, par exemple quand la question s’est posée pour leurs propres enfants.
  7. Dans la comptabilisation des difficultés de compréhension des phrases, les difficultés sans lien avec l’écriture inclusive ont été écartées. Par exemple, les difficultés liées à la méconnaissance d’un mot, à l’écriture en lettres capitales, à la syntaxe de la phrase ne sont pas prises en compte.

 

Sophie Vela

Sophie Vela, est diplômée de l’EESAB (Ecole Européenne Supérieure de Bretagne) à Rennes en 2023. Depuis 2021, elle axe sa recherche sur la lisibilité des écritures inclusives. Elle est également co-fondatrice de la collective militante Les Mots de Trop.