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Des corsets sur nos lettres, typographie contre patriarcat 13/09/24 - 14:05 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur Des corsets sur nos lettres, typographie contre patriarcat Des corsets sur nos lettres (lettrine de l'article)

Flo Parmentier questionne la présence du genre dans le domaine du dessin de caractère : quelle influence les stéréotypes de genre ont-ils eu sur l’histoire de la création typographique ? Qu’en retient-on aujourd’hui ? Ces réflexions, développées lors de l’écriture de son mémoire en licence à l’Ésad d’Amiens, sondent l’histoire viriliste de l’imprimerie, à l’origine d’un « genrage » typographique toujours bien ancré, étudiant ses causes et ses conséquences.

1. L’exclusion des femmes du milieu typographique.

 

Au tournant du 20e siècle, le milieu de la typographie commence peu à peu à reconnaître la place importante des femmes. L’accès à l’enseignement représenta un premier « demi‑pas » vers leur intégration, qui n’aurait été totale que si les étudiantes n’avaient pas été encouragées à apprendre tissage, poterie, illustration, vitrail ou calligraphie, au détriment d’autres matières de l’art et du design. L’exemple du Bauhaus, dont le directeur Walter Gropius clamait accueillir « toute personne de bonne réputation, sans regard pour son âge ou sexe », semble très éloquent lorsque l’on sait que ce même Gropius considérait les femmes inaptes à certaines pratiques artistiques car elles penseraient en deux dimensions, trois pour leurs équivalents masculins [1].

Comme l’architecture, le design typographique resta ainsi difficile d’accès et expliquerait, selon Sybille Hagmann — dessinatrice de caractères, la représentation inégale des femmes typographes observée aujourd’hui :

« [Les femmes] étaient encouragées à se concentrer sur l’apprentissage de techniques d’artisanat comme le tissage, la teinture la poterie, l’illustration […] des occupations orientées exclusivement vers le décoratif. […] Les domaines dominés par les hommes comme la forge ou la fonte de types en plomb n’avaient rien à voir avec la décoration. [2]»

Aux stéréotypes s’ajoutent des cas d’exclusion active des femmes, comme au sein de conventions ou de groupes de typographes en non‑mixité. De sa création dans les années 1930 et jusqu’en 1970, l’association new‑yorkaise des Typophiles était ainsi exclusivement masculine, empêchant aux femmes tout accès à des offres d’emploi dans l’imprimerie[3].

2. Les pionnières

 

Nombre de femmes ont bien sûr contribué anonymement à écrire l’histoire de la typographie — l’imprimerie elle‑même serait l’invention de l’impératrice Wu Zetian, huit siècles avant Gutenberg — mais c’est au 20e siècle que certaines d’entre elles y inscrivent réellement leurs noms. En 2017, Alphabettes, site faisant la promotion du travail de femmes typographes — recensait ainsi parmi ces pionnières l’allemande Hildegard Henning, dont la première fonte Belladonna parut en 1912[4] (Fig.1). Malgré son statut, l’histoire aura retenu très peu d’informations sur Henning : elle aurait étudié à l’académie de Leipzig et exposa deux livres manuscrits au pavillon de la Bugra de 1914 (Exposition internationale de l’Industrie du Livre et du Design Graphique) dédié au travail des femmes dans l’industrie du livre. Ces deux ouvrages furent détruits durant le bombardement de Leipzig en 1943.

Plus tôt, Anna Simons (1871–1951) marqua à sa manière l’histoire de la création typographique : bien que n’ayant jamais dessiné de caractère, elle fut la première enseignante en dessin de lettres, d’abord à Düsseldorf, puis à Halle, Zurich, Munich, en Prusse et en Bavière. Son enseignement a nécessairement influencé la culture typographique germanique de son époque, car « presque tous les designers typographiques qui travaillait en Allemagne entre 1907 et la Seconde Guerre mondiale ont assisté à certains de ses cours. [5]»

Si l’on se questionne sur l’influence des stéréotypes de genre énoncés ci‑avant, le travail de ces créatrices ne peut être considéré comme « féminin » dans la mesure où le Belladonna n’est ni « moderne », ni ornemental·e ; il laisse d’ailleurs visible le geste de la main à travers des inspirations calligraphiques antiques, proches de la Rustica et l’Onciale. De son côté, Simons considérait que « la lettre avait assez de décoration en elle‑même […] sans extra, sans feuille poussant autour de la lettre — juste une lettre. [6]»

Source : numérisation par REYNOLDS, D., carte factice de changement d’adresse extraite du spécimen de Belladonna par la fonderie Julius Klinkhardt, vers 1914.

3. Refuser la mainmise de la typographie masculine.

 

Il n’y a bien sûr rien d’étonnant à constater que la typographie « féminine », arbitrairement théorisée par des hommes, ne possède aucune valeur tangible. Il est cependant intéressant de se questionner sur l’impact qu’ont pu avoir ces discours sur la présence des lettres discriminées dans l’histoire de la création typographique qui les a suivies. Sur les sept dessinatrices de caractère listées par Alphabettes, chacune de leurs fontes fut commercialisée par une fonderie détenue par des hommes, montrant bien la difficulté qu’il y aurait eu à s’émanciper de la domination masculine au sein du système capitaliste.

Il en est de même pour la littérature relatant la typographie de l’époque. En 1994, suite à une conférence autour de la revue FUSE (de Neville Brody et Jon Wozencroft) tenue exclusivement par des hommes blancs de classe moyenne, le collectif WD+RU (Women’s Design + Research Unit) se forma. Afin de contrer la non‑représentation féminine dans les médias typographiques, ses membres furent invitées à participer au numéro suivant de FUSE, Propaganda, pour lequel elles réalisèrent Pussy Galore[7] (Fig.2). Sous la forme d’une fonte dingbat (pictographique), celle‑ci décline sur quatre jeux de glyphes des expressions régulièrement attribuées aux femmes : la lettre G affiche ainsi le glyphe gash (chatte) dans le style Bad Language, et grrrls dans sa version Empowerment. Pussy Galore joue avec les options du clavier d’ordinateur et les limites de capacités du fichier, pour illustrer la non-diversité du vocabulaire imposé aux femmes, permettant aux utilisateur·ices de reconsidérer leur position politique quant à l’image relayée de ces femmes. À la fois messager — comme toute fonte — et message en soi, Pussy Galore abolit l’habituelle hiérarchie langagière, empêchant tout abus du médium à d’autres fins que celle pensée par ses créatrices. Cette contribution permet d’envisager la typographie non comme un simple support reflétant des inégalités sociales intrinsèques à sa création, mais également comme un outil permettant de les contester.

https://media.cheggcdn.com/media/0cc/0cc46188-33e4-4964-a4bf-31cb53f7118d/pussygalore1354604230618-13F1A46E3896A52FE62.png

Source : WOMEN’S DESIGN + RESEARCH UNIT, jeu de glyphes de la fonte expérimentale Pussy Galore, 1994.

Sans porter en elle‑même un message, la typographie sert parfois d’outil à la résistance. Suite aux révoltes mondiales du mouvement de libération des femmes à la fin des années 1960, elle accompagna la création de mouvements féministes portant un nouveau regard sur le langage, comme l’explique Jess Baines dans son article « A Darn Good Idea: Feminist Printers and the Women’s Liberation Movement in Britain » :

« Le langage s’est révélé comme étant un outil d’oppression et les mots, en tant que discours, conversations, poèmes, informations et polémiques étaient reconsidérés en tant qu’instruments de libération. [8]»

Ce processus de réappropriation du langage pourrait amener à une réflexion similaire quant à la question typographique, et ce au-delà des luttes des années 1970. À partir des affiches compilées par Liz McQuiston dans Suffragettes to She‑Devils[9], Catherine de Smet tenta de déceler une tendance graphique parcourant les mobilisations en faveur des femmes :

« Signées d’une personne, d’un collectif ou purement anonymes, celles‑ci puisent le plus souvent dans le vocabulaire typographique et iconographique propre à l’époque de leur conception. En dehors du signe «plus» surmonté d’un cercle, qui devient symbole de ralliement à partir des années 1960 […], on ne constate aucune marque distinctive qui traverserait l’ensemble de cette production. [10]»

Bien que de Smet conclue en l’inexistence d’une « marque distinctive » du graphisme féministe, le constat du puisement dans le contexte de création pourrait être interprété selon l’angle de la réappropriation, dans la mesure où « le vocabulaire typographique et iconographique » dépend d’une norme dominante. Dans son affiche Bugler Girl de 1908, la peintresse Caroline Watts récupère visiblement les codes de la conquête, alors aux mains des hommes, dans les attributs de sa femme au clairon. Le lettrage, de la même manière, s’inspire de structures classiques renvoyant à la gloire des capitales romaines. Les empattements pointus, en rappel aux rayons du soleil, évoquent tant la souveraineté que la bienfaisance, et l’équilibre des graisses assoit les lettres, calmes et imposantes, à l’image de la guerrière aux armes rangées.

À la fin du 20e siècle, le collectif d’artistes féministes Guerrilla Girls poursuit ce processus de récupération de code dominants. Leur production est en effet parcourue de linéales grasses, souvent proches les unes des autres, condensées et capitales, marquant respectivement l’oppression, faisant l’union, faisant leur force.

4. Contester le genre, célébrer l’individu·e.

 

Enfin, la littérature féministe a accompagné et influencé l’évolution de la typographie. De la parution du Deuxième Sexe[11] en 1949, à la fin du siècle — avec Trouble dans le genre[12] par exemple — l’acception du genre féminin s’est considérablement développée, se détachant de son référentiel masculin pour se rapprocher des théories de genre de la pensée queer. La question n’était plus alors de conquérir le domaine de la typographie, mais de se servir d’outils alternatifs comme celui du lettrage manuel, pour s’exprimer. En 2006, le collectif Ridykeulous parodia ainsi l’annonce The Advantages of Being a Woman Artist des Guerrilla Girls par l’emploi du manuscrit pour créer son The Advantages of Being a Lesbian Artist. L’usage de la main est un rappel de l’existence de l’individu·e, effacé par les normes et tentant de s’en extraire. Pour cette raison, il est partagé entre le graphisme féministe et la pratique d’artiste queer dont il sera question ci‑après.

La lettre manuscrite, soustraite à la rigidité du dessin typographique, s’accompagne parfois aussi d’un détournement des règles de composition. En 1937, The Distaff Side Committee, l’un des premiers groupes d’imprimeuses en non‑mixité, propose dans l’un de ses pamphlets trois principes typographiques : césurer les mots sans attention aux règles, mélanger les fontes sans souci esthétique, ne pas corriger les fautes des auteur·ices.

Pour ne pas reproduire le schéma patriarcal, l’autrice n’impose ici aucun dictat, allant jusqu’à titrer son œuvre « un discours », laissant l’éventualité à d’autres de coexister. Ces préceptes font évidemment suite à une prise de conscience, par les femmes, de la double utilité du langage comme outils d’oppression et de libération. En témoigne le fameux tampon rouge « Please believe the punctuation! » que la poétesse Muriel Rukeyser apposait sur ses manuscrits, lassée d’être corrigée par des imprimeurs refusant ses entorses au code typographique[13].

À ce propos, l’essayiste féministe Andrea Dworkin affirme que la ponctuation, les majuscules et autres standards typographiques sont la distance séparant l’individu·e de l’idée proposée par un texte : « permettre aux écrivain·es d’utiliser des formes transgressant les conventions pourrait leur permettre de développer des formes qui enseigneraient aux autres à penser différemment. [14]»

La question d’une identité du graphisme féministe reste une question régulièrement soulevée aujourd’hui. En concevant le magazine Bang, le studio Bastion (composé d’Alexandra Falagara et Brita Lindvall) chercha à proposer un « design féministe et critique des normes ». Les designeuses ont ainsi mis en place une grille distordue — opposée à la droite patriarcale et moderniste, des notes de bas de page ornementées et fusionnant avec le texte, de la couleur et une utilisation systématique de fontes dessinées par des femmes — face à l’emploi constant de linéales. Elles ont également fait le choix d’accentuer la présence des veuves et orphelins, « enfants de putain » dans leur suédois maternel, en hommage aux enfants nés hors‑mariage[15].

De ce corpus d’exemples, on comprend évidemment qu’à l’ombre d’une typographie « masculine » ne s’est pas profilée une impossible esthétique « féminine ». La réaction des femmes typographes fut plutôt de déconstruire ce que leurs confrères avaient mis en place à leur insu, et proposer de nouvelles manières d’utiliser la lettre.

 

  1. Mariángeles García, « The Lost History of the Women of the Bauhaus », Archdaily, 2018. » [https://www.archdaily.com/890807/the-lost-history-of-the-women-of-the-bauhaus]
  2. Sybille Hagmann, Non-existent Design: Women and the creation of type, 2005.
  3. Kathleen Walkup, Natural Enemies of Books, A Messy History of Women in Printing and Typography, Occasional Papers, 2020.
  4. Indra Kupferschmid, « First/early female typeface designers », Alphabettes, 2017. [https://www.alphabettes.org/first-female-typeface-designers]
  5. Yulia Popova, How many female type designers do you know? I know many and talked to some!, Onomatopee 184, 2020.
  6. Ibid.
  7. WD + RU, « Pussy Galore », FUSE, PROPAGANDA-12, 1994.
  8. Jess Baines, « A Darn Good Idea: Feminist Printers and the Women’s Liberation Movement in Britain », Natural Enemies of Books, A Messy History of Women in Printing and Typography, Occasional Papers, 2020, p. 81.
  9. Liz McQuiston, Suffragettes to She-Devils, Phaidon, 1999.
  10. Catherine de Smet, « Pussy Galore et Bouddha du futur — Femmes, graphisme, etc. », Pour une critique du design graphique. Dix-huit essais, B42, 2012.
  11. Simone De Beauvoir, Le Deuxième sexe, Gallimard, 1949.
  12. Judith Butler, Gender Trouble, Routledge Kegan & Paul, 1990.
  13. Andrea Dworkin, « Afterword: The Great Punctuation Typography Struggle », Woman Hating: A Radical Look at Sexuality, 1974.
  14. Ibid.
  15. Kristina Ketola Bore, « Feminism Takes Form », Contemporary Art Stavanger, 2015. [https://www.contemporaryartstavanger.no/feminismen-tar-form/]

 

Conditions d’Utilisations Typographiques Engageantes 28/06/24 - 16:03 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur Conditions d’Utilisations Typographiques Engageantes CUTE

L’écriture d’un premier cadre de conditions d’utilisations typographiques engageantes (les CUTE) a été finalisé collectivement par Bye Bye Binary en janvier 2024, le texte est disponible en PDF à cette adresse.

CUTE couverture

Ces conditions sont une sorte de contrat, un guide d’usage, utilisables par toute personne souhaitant publier ou utiliser une fonte post-binaire. Elles se détachent de la plupart des licences libres en intégrant la question de l’économie et des conditions matérielles d’existence des dessinateur·ices. Les idées critiques et politiques qui les animent pollinisent ainsi des pratiques graphiques engagées dans une perspective radicalement féministe, antiraciste, anticapitaliste, queer et trans*, pédé·e, bi·e, gouin·e.

Pourquoi les CUTE ?

Depuis 2018, la collective Bye Bye Binary travaille activement au dessin de fontes post-binaires pour permettre à la langue de dépasser les débats autour de l’écriture inclusive.
En 2022, elle publie la première version d’une typothèque. Les caractères diffusés le sont alors sous licences libres (OFL , OIFL ou CC-BY-NC-SA ). Leurs conditions très permissives ainsi que l’héritage et l’approche universalistes ne prennent pas en compte les dynamiques de pouvoir et inégalités économiques structurelles.

Exemple : Une institution importante utilise les caractères sans donation en adéquation avec leurs moyens, alors que des étudiant·es souvent précaires contribuent financièrement à la recherche ?

Après un premier geste de réécriture de l’OFL en langage inclusif, l’OIFL, il est apparu nécessaire à la collective BBB d’écrire des conditions d’utilisations spécifiques aux fontes post-binaires. Les pratiques de partage et l’invitation à modification des licences libres  est cependant une dimension qui est chère à la collective et qui est conservée dans ces CUTE. 

Ces conditions d’utilisation cherchent à naviguer entre les « tensions et paradoxes des politiques de partage »  et la critique de la notion d’autorat. Premièrement, la figure de l’auteur·ice original·e est ambigüe, toute production est infusée des précédentes et s’inscrit dans un continuum de références et de pensée. Deuxièmement, le fait d’apposer une signature sur une production est liée à une histoire d’appropriations de pratiques non-canonisées et négligées par l’histoire dominante. C’est donc une question dont il faut prendre soin, en faisant attention aux références, aux généalogies, aux contextes. Il s’agit « d’éviter l’appropriation abusive en insistant sur une attribution inclusive. » 

Par la rédaction de ces conditions comme outils de résistance, Bye Bye Binary indique un premier cadre d’utilisation pour les utilisateur·ices et permet aux dessinateur·ices de publier leurs fontes selon un rapport de force moins déséquilibré face aux logiques propriétaires et de résister collectivement aux dynamiques d’extraction et de colonisation des savoirs. 

Ces conditions d’utilisation s’inscrivent dans le champ de la typographie et mobilisent plusieurs points d’attention :

  • Le fait que la production de formes typographiques s’inscrit dans une longue histoire de la copie.
  • La circulation des objets typographiques sur les plateformes numériques a tendance à rompre les liens et à rendre notre écosystème moins durable. 
  • La longue histoire d’invisibilisation des personnes minorisées dans le champ de la typographie.
  • La difficulté de garder traces des personnes au sein de pratiques collectives.
  • L’attention aux sources, car référencer permet de ne pas perdre des existences. En l’occurrence celle des messy histories des luttes LGBTQIA+.

Une économie vertueuse

Les fontes distribuées sous ces conditions d’utilisation ont été dessinées par et pour des personnes qui sont solidaires des luttes contre le cis-hétéro-patriarcat, la suprématie blanche, le validisme et le capitalisme. L’utilisation de fontes post-binaires ne saurait évidemment pas se substituer à la mise en place d’autres actions de militance contre ces systèmes d’oppression. 

Ces conditions d’utilisation englobent la question de l’économie vertueuse de la recherche et l’adoption d’une position féministe matérialiste. Recevoir des dons permet de créer les conditions matérielles d’existence pour les chercheur·ses actif·ves dans le champ de la typographie post-binaire. En effet, un soutien financier rend possible la participation de personnes ne pouvant pas se permettre du travail non-rémunéré, encourage les dessinateur·ices à publier plus, et ouvre à une plus grande variété esthétique et politique. Ce domaine de recherche est précaire, il existe sur un fil grâce à quelques subventions et commandes ponctuelles. Intégrer une échelle de donations aux conditions d’utilisation des fontes permet d’insister sur les besoins concrets aux différents endroits de l’écosystème. Ce texte prend ainsi de la distance avec l’idée reçue selon laquelle « libre » équivaut à « gratuit ».

Les cas listés ci-dessous sont des exemples non-exhaustifs car cette échelle de valeur monétaire proposée est située culturellement dans un contexte belgo-français. À vous de vous projeter et d’évaluer votre propre position au sein des dynamiques de pouvoir. L’outil Green bottle sliding scale peut être un outil complémentaire utile pour vous auto-déterminer et responsabiliser vos choix.

Conditions matérielles d’écriture des CUTE

En 2022 et 2023, une série de sessions d’arpentages collectifs de différents cadres de licences a été soutenue par la bourse Vocatio, par l’intermédiaire de Clara Sambot.

Tableau comparatifs des licences existantes

Tableau comparatifs des licences existantes

En 2023 et 2024, les soutiens du FRArt et de la commission Arts Numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont permis de finaliser ce travail et de constituer un tableau comparatif des différents textes. Ce dernier est la base de la rédaction collective des CUTE. 

L’écriture de ces conditions a été faite à plusieurs mains (Ludi Loiseau, Eugénie Bidaut, Mariel Nils, Clara Sambot, Camille Circlude, Enz@ Le Garrec, Laure Giletti, Pierre Huyghebaert avec le regard extérieur de Femke Snelting) et en invite d’autres. Cette première version de janvier 2024 est amenée à évoluer avec la pratique, les retours et les contributions. En publiant le texte de ces conditions sous licence CC4r, nous encourageons encore son déploiement dans d’autres versions.

Bye Bye Binary team CUTE (de gauche à droite : Ludi Loiseau, Laure Giletti, Eugénie Bidaut, Enz@ Le Garrec, Mariel Nils et Camille Circlude) © Ludi Loiseau

La lettre virile, histoire binaire de la typographie occidentale. 21/06/24 - 16:15 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur La lettre virile, histoire binaire de la typographie occidentale. La lettre virile (lettrine de l'article)

Flo Parmentier questionne la présence du genre dans le domaine du dessin de caractère : quelle influence les stéréotypes de genre ont-ils eu sur l’histoire de la création typographique ? Qu’en retient-on aujourd’hui ? Ces réflexions, développées lors de l’écriture de son mémoire en licence à l’Ésad d’Amiens, sondent l’histoire viriliste de l’imprimerie, à l’origine d’un « genrage » typographique toujours bien ancré, étudiant ses causes et ses conséquences.

1. Typographie masculine : aux racines du mâle.

 

Dans l’Angleterre du 19e siècle, période de révolution industrielle, certains penseurs et artistes — rassemblés plus tard sous le nom d’Arts and Crafts — s’indignent des méfaits de l’industrialisation sur la production artistique et architecturale, prônant un retour à des pratiques médiévales de l’artisanat.

Dans le domaine typographique, c’est dans la production de livres que cette doctrine est la plus établie ; face à la mécanisation de la presse (des cylindres de Koenig à la rotative de Hoe, en passant par la Linotype et la Monotype) naquit un engouement pour la presse privée. Le plus célèbre exemple de cette tendance est sans doute celui de la Kelmscott Press de William Morris, chef de file du mouvement Arts and Crafts, dont les ouvrages d’inspiration médiévale renouèrent avec la tradition des incunables.

William Morris: Dinner Menu, 1893) Kelmscott Press Annual Dinner Wayzegoose menu 1893 CC BY-NC-ND 2.0 Deed https://www.flickr.com/photos/digitalcollectionsum/6915873980

Source : MORRIS, W., menu du banquet annuel de la Kelmscott Press, 1893.

Derrière ce regard admiratif porté vers le 15e siècle se cachent pourtant des préoccupations autres qu’esthétiques. Déjà fort de cinquante années d’expérience en imprimerie, d’un immeuble et d’une presse à son nom, Theodore Low De Vinne fut le premier imprimeur américain à accéder à la célébrité, s’étendant bien au-delà de sa New York natale. Sa proximité outre‑atlantique avec William Morris en est la preuve, attestée par leurs correspondances et la visite de De Vinne à l’atelier de son confrère en 1892[1]. Écarté du mouvement Arts and Crafts par sa longue association avec la mécanisation et la commercialisation de la presse[2], De Vinne partageait pourtant avec Morris le sentiment que l’imprimerie s’était dégradée au fil du siècle.

Lors de la sixième convention annuelle des imprimeurs de l’United Typothetae of America, De Vinne fit un discours qui devint peu après, lors de sa publication dans la revue American Bookmaker, le manifeste « Masculine Printing[3]». Il y traduit ses préoccupations en prétendant l’existence de « deux styles d’imprimerie » auxquels il attribue un genre :

« J’appelle masculin tout imprimé remarquable pour sa lisibilité, pour sa force et son absence d’ornements inutiles. J’appelle féminin tout imprimé remarquable pour sa délicatesse, et pour la fragilité qui accompagne toujours cette délicatesse, ainsi que pour sa profusion d’ornements.[4]»

Dans ses mots, la « typographie masculine » serait initiale, celle de « tous les grands livres du monde », tandis que son « opposée féminine », jeune « [d’]au moins deux générations d’imprimeurs », comporte « bien sûr […] plus de faiblesse ».

2. Le genre comme outil de domination typographique.

 

Quelles raisons De Vinne avait‑il pour préférer les adjectifs « masculin et féminin » à « sobre et ornementé » ou « rustique et fin » ? Dans le bien nommé chapitre « Typography and Gender » du recueil d’essais Illuminating Letters, Megan L. Benton livre quelques éléments de réponse à cette question. Elle y explique que l’attribution de genres à la typographie est en grande partie une réaction à la présence grandissante des femmes dans le domaine, tant dans l’industrie que dans le lectorat[5]. En effet, le 19e siècle vit attribuer aux femmes des droits qui leur étaient jusqu’alors refusés (fonciers, de propriété, plus tard de vote…), et un accès aux formations d’art et de design qui leur fit atteindre tous métiers de l’imprimerie. Entre 1866 et 1896, en France, leur présence passa de 7 000 à 16 000 travailleuses dans le domaine, des imprimeries exclusivement féminines fleurirent tout au long du 20e siècle, avec eux des syndicats féministes…[6] De même, l’industrialisation de la presse leur permit d’acquérir une littérature à moindre coût, adaptée, qui plus est, à sa nouvelle cible de lecteur·ices novices. La propagation de l’espace vide autour et au sein des blocs de textes est ainsi la preuve d’un effort d’accommodation aux yeux des amateur·ices.

De ce constat de perte de contrôle, aux mains des femmes, et des machines sans main, naît donc l’intention de dénigrer une esthétique dite « victorienne » par la féminisation de ses supposés défauts. Finesse, uniformité ou ornements — permis par le progrès technologique — furent rapidement associés au genre féminin sous la plume influente de Theodore Low De Vinne. Selon lui, deux types de caractères nuisent à la qualité de l’impression[7]: les « modernes » que les formes compressées, les courtes ascendantes et descendantes, les très fins empattements et le contraste prononcé rendaient « misérables, faibles et inefficaces » (celles que la classification Vox‑ATypI nomma par la suite didones[8]), les caractères d’ornement, outils d’exhibition des talents et moyens des imprimeurs selon lui, desservant la lisibilité — donc le propos — des textes composés.

Theodore Low de Vinne, The practice of typography : a treatise on the processes of type-making, the point system, the names, sizes, styles and prices of plain printing types, 1900, p.189 Pas de Copyright https://archive.org/details/practiceoftypogr00devirich/page/n7/mode/2up

Source : LOW DE VINNE, T., comparatifs des styles typographiques ancien et moderne extraits de son manuel « The practice of typography », 1900.

Si ces amalgames auraient pu suffire à la critique, l’auteur ne s’arrêta pas là. Dans le premier volume de sa série The Practice of Typography, De Vinne explique, par un raisonnement scientifique, les conditions de durabilité des types de l’époque, employant le terme de « faiblesse » pour qualifier les modernes dont les finesses se brisaient rapidement, tout comme il l’utilise quelques pages plus tard pour décrire la typographie « féminine [9]».

Par opposition, la typographie « masculine » serait grasse car plus robuste, tant dans le dessin des empattements que dans l’empreinte de la lettre pressée sur le papier. Nombre de revivals de l’époque en témoignent : Nicolas Jenson, instaurateur des caractères romains tels que nous les connaissons aujourd’hui, fut ainsi l’une des principales inspirations des dessinateurs de l’époque. William Morris en conçut le Golden Type, dont « la simplicité et la lisibilité », prouvant le « mérite supérieur de la typographie masculine », faisait défaut à « notre style efféminé de romain » d’après De Vinne[10].

3. Perpétuer les stéréotypes.

 

Cependant, comment savoir si la vision genrée de la typographie a subsisté à travers ces relectures successives ? Le Caslon, « clair et ouvert, mais pas faible ou délicat[11]» selon De Vinne, fut d’abord publié en 1722 et engendra de nombreux revivals dont on retrouva un exemple, en 1929, dans la première édition du livre Passing de Nella Larsen. Le fait pourrait être anodin ; pourtant, il est surprenant d’avoir utilisé l’un des archétypes de la typographie « masculine[12]» pour composer l’œuvre d’une romancière afro‑descendante et traitant de la condition de femme noire durant les années 20, période de la Renaissance de Harlem. Plus surprenant encore est le colophon de l’ouvrage, rédigé par son éditeur Alfred A. Knopf, encensant à chacune de ses publications les revivals des fontes préindustrielles sélectionnées : « caractère artistique et facile à lire, le Caslon a deux siècles de popularité constamment grandissante dans notre pays — il est d’intérêt de noter que notre Déclaration d’Indépendance et nos premiers papiers‑monnaies, distribués aux citoyens et nouvelles nations, étaient à l’origine imprimés dans cette police d’écriture.[13]»

Dans le cas de Passing, l’utilisation du Caslon est symptôme de l’appropriation de la culture noire dominée, en pleine émergence à Harlem, par la culture dominante masculine blanche. Le procédé est d’ailleurs signifiant quant au principe du passing dont traite l’ouvrage, c’est‑à‑dire la capacité d’un·e individu·e à être perçu·e et accepté·e par un groupe dont i·el serait habituellement exclu·e. Dans le contexte du genre, le passing est souvent affaire d’apparence, et la typographie « masculine » a ici vocation de faire « passer » visuellement le texte d’une femme racisée auprès d’un lectorat que la société lui oppose. Elle désire l’inscrire dans l’histoire d’une culture « américaine » idéalisée (se l’approprier), comme le montrent les références à la Déclaration d’Indépendance et à la monnaie états‑unienne.

4. Le couple romain/italique

 

La discrimination genrée de la typographie est d’ailleurs loin d’être une invention du 19e siècle. L’imprimerie ayant longtemps été terrain de domination masculine — si l’on en juge aux lignées d’imprimeurs dont les femmes ne devenaient visibles qu’une fois devenues veuves — elle pourrait remonter jusqu’à l’invention même de l’imprimerie. Plus précisément jusqu’aux premières variations dans la gravure des types : supplantant la textura de Gutenberg en Italie, le romain d’Arnold Pannartz et Konrad Sweynheim devint le support d’une pensée humaniste qui engendra les premiers « schismes » typographiques binaires.

L’italique vint ainsi noircir pour la première fois les pages de la littérature humaniste avec, pour premier support, l’Opéra de Virgile. Alde Manuce et son graveur Francesco Griffo, dédiés à la mise en page du roman, s’inspirent de la lettera antica corsiva pour tailler ces nouveaux signes, opposant immédiatement l’italique au romain (basé sur la lettera antica formata) déjà usité.

Gérard Blanchard, dans un article de Communication et langages nommé « Garamond, mythe et patrimoine », voit dans l’émergence du couple romain/italique « l’équivalent du mythe néo‑platonicien de l’androgyne, alors à la mode.[14]» Quatre ans plus tôt, Blanchard nous parlait déjà de l’italique dans le travail de Nicolas‑Edme Restif de La Bretonne. Auteur de littérature libertine et typographe de formation, le surnommé Rétif de la Bretonne illustre, par son œuvre, sa considération des femmes dans la société, que son utilisation de la typographie traduisit également : « pour Restif l’usage de l’italique est lié à l’image de la femme, à la galanterie, souvent chez lui elle exprime l’immoralité d’état, l’érotisme.[15]»

Si Blanchard, dans son texte de 1993, évoque une complémentarité des deux styles typographiques, il est à noter que la comparaison n’est pas sans hiérarchie, tant dans l’utilisation de l’italique que dans sa présentation secondaire par l’auteur. De même que son analyse de l’œuvre du Rétif de la Bretonne, témoignant de l’obsession de ce dernier pour les femmes, élide entièrement la place qu’il leur accorde dans ses ouvrages, effaçant par là même son estime de l’italique : « son œuvre est une vaste variation sur quelques thèmes privilégiés […] du fétichisme du pied (Le Pied de Fanchette, Le Soulier couleur de rose), du thème de la femme persécutée dont il se voit le sauveur, de l’évocation d’un certain nombre de jeunes filles ou femmes qui font date dans sa vie — Virginie, Louise, Thérèse, Sara… surtout de la défloration des ingénues et du fantasme de la relation sexuelle avec sa fille […][16]»

Le texte de Blanchard ne fait état d’aucune critique quant à l’aspect misogyne de la pensée de Rétif de la Bretonne, elle n’est qu’une analyse factuelle dont l’absence de jugement démontre une banalisation largement admise du viol et de l’inceste.

5.Affiliation de la linéale à la typographie masculine : l’idéal universel

 

Des préconisations de Theodore Low De Vinne aux cursives « féminines » du Rétif de la Bretonne, nous continuons d’appliquer à la typographie contemporaine un panel de stéréotypes de genres hérités de l’histoire. Parmi eux, il reste à préciser le cas des lettres sans empattements, les linéales, dont l’omniprésence aujourd’hui renvoie souvent à la notion d’universel. Identifiée comme « masculine » dans un article du Walker Art Center — un classement de 2016 sur lequel il faudra revenir plus tard[17] — la linéale est décrite comme « normale et autoritaire », empreinte d’un manque de charisme dont témoigne la police‑type choisie : « Standard, Arial, Helvetica ou peu importe ». Dans son manuel typographique Plain Paper, Theodore Low De Vinne nous parle durant un chapitre de ces lettres qu’il nomme alors gothiques, terme employé par les imprimeurs états‑uniens de l’époque. S’abstenant de ses habituels jugements de valeur, il se contente d’une courte description — « le plus simple et grossier de tous les styles » — et d’énoncer les utilisations qui en sont faites. Ces « gothiques » ont pourtant certaines des caractéristiques « masculines » proposées par De Vinne.

L’inspiration antique des linéales, pareillement à l’inspiration médiévale des romains classiques chère à De Vinne, ramène inévitablement à un passé glorieux — les capitalis monumentalis étant à l’origine gravées en haut d’édifices dans le but d’affirmer la puissance de Rome — époque à laquelle l’une des principales qualités est celle d’être un homme (vertu et virilité proviennent toutes deux du latin vir : homme).

On comprend ainsi pourquoi les linéales seraient autoritaires. Quant à leur rapport à la norme, c’est dans l’histoire moderniste de la typographie qu’il faut en chercher l’explication. Proche de l’école du Bauhaus, le typographe Jan Tschichold théorise en 1928 la Nouvelle Typographie, une doctrine portée par son manuel éponyme à l’intention de l’industrie du livre. Aux antipodes de la philosophie Arts and Crafts, Tschichold partage pourtant avec De Vinne un même souci pour la lisibilité et une aversion pour l’ornement, à la différence que tout empattement est pour lui accessoire, donc à bannir. Faisant l’éloge de la linéale, la Nouvelle Typographie est rapidement condamnée par le régime nazi, forçant Tschichold à fuir pour la Suisse où ses théories influenceront le style typographique international.

L’omniprésence de la linéale dans le paysage typographique contemporain est ainsi explicable, sa popularité en faisant très vite une norme, la normalité se changeant rapidement en neutralité. Le neutre et l’universel sont pourtant deux idéaux, poursuivis depuis longtemps par l’Occident, qui semblent parfaitement illusoires, et la typographie en a elle aussi fait les frais. Dans son discours La typographie devrait être invisible[18], l’autrice Beatrice Warde propose une métaphore qui fera date : une bonne lettre, tel un verre à vin, devrait s’effacer au profit de ce qu’elle transmet, c’est‑à‑dire le texte.

Sur quels critères peut‑on déterminer qu’une lettre est objective ? La neutralité dépend du groupe dominant et lui profite. Pour cette raison, les normes occidentales sont souvent basées sur le modèle masculin à l’identité dominante (cisgenre, hétérosexuel, valide…), au dépend d’individu·es que le neutre invisibilise.

En dépit des différences esthétiques, chacune des incarnations de la sois-disante typographie masculine — de De Vinne au style typographique international — participe à l’hégémonie du « bon goût », théorisé par Pierre Bourdieu, que Camille Circlude relie à « l’entreprise capitaliste occidentale, invalidant au passage toute une série de pratiques alternatives[19]». C’est au sein de ces pratiques qu’i·el nous laisse imaginer la naissance et la propagation d’une esthétique queer de la typographie.

 

 

  1. Irene Tichenor, No Art Without Craft: The Life of Theodore Low De Vinne, Printer, David R. Godine Publisher, 2005. Traduction libre.
  2. Jon Bath, Blowing the Crystal Goblet: Transparent Book Design 1350-1950, 2009.
  3. Theodore Low De Vinne, « Masculine printing », American Bookmaker (New York), 1892.
  4. Ibid.
  5. Paul C. Gutjahr et Megan L. Benton, Illuminating Letters: Typography and Literary Interpretation, University of Massachusetts Press, 2009.
  6. Natural Enemies of Books, A Messy History of Women in Printing and Typography, Occasional Papers, 2020.
  7. Paul C. Gutjahr et Megan L. Benton, Illuminating Letters: Typography and Literary Interpretation, University of Massachusetts Press, 2009.
  8. La classification typographique VoxATypI fut imaginée par Maximilien Vox en 1954, remplaçant celle de Francis Thibaudeau considérée obsolète.
  9. Theodore Low De Vinne, The Practice of Typography: A Treatise on the Processes of Type-making, the Point System, the Names, Sizes, Styles and Prices of Plain Printing Types, 1900.
  10. Ibid, p. 208.
  11. Ibid, p. 192.
  12. « la force et la simplicité de l’ancien Caslon », Ibid, p. 268.
  13. Nella Larsen, Passing, Knopf, 1929, p. 217.
  14. Gérard Blanchard, « Garamond, mythe et patrimoine », Communication et Langages, 1993.
  15. Gérard Blanchard, « Le curieux code typographique de Restif de La Bretonne », Communication et Langages, 79, 1989, p. 72.
  16. Rainier Lanselle, « Rétif de la Bretonne, ou la folie sous presse », Essaim, 16, 2006, p. 70.
  17. Riley Hooker, « 7 Genders, 7 Typographies: Hacking the Binary », Walker, 2016. [https://walkerart.org/magazine/7-genders-7-typographies-hacking-the-binary]
  18. Beatrice Warde, « The Crystal Goblet », Sixteen Essays on Typography, Sylvan, 1955.
  19. Camille Circlude, La Typographie post-binaire, B42, 2024, p. 55.
La théorie de « l’effet design » appliquée à la typographie inclusive. 01/03/24 - 17:32 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur La théorie de « l’effet design » appliquée à la typographie inclusive. L'effet de design

Dans le cadre de son mémoire de Master en communication visuelle et graphisme, à l’Académie des Beaux Arts de Tournai, Ariane Barba se pose la question de la responsabilité dans la pratique du design graphique. Ce texte est un extrait du chapitre « Pourquoi les designer·euses graphiques doivent-iels être conscient·es de leur responsabilité ? », elle y aborde le caractère typographique dans le but d’interroger le rôle d’un objet de design et sa réception dans nos sociétés occidentales. Cet exemple permet de mettre en lumière la théorie de «l’effet de design » par une application concrète, consciente et politique.

a) Beaux-arts ou science sociale, la place de l’Autre dans la pensée de Jorge Frascara

 

Certain·es se sont déjà penché·es sur cette grande question de l’impact du design sur les sociétés, notamment Jorge Frascara. Ce leader argentin de la communication visuelle a publié divers ouvrages et écrits au sujet de la production graphique et de sa réception. En 1988, l’article « Graphic Design : fine art or social science ? » paru dans la revue Design Issues[1], déplore le manque de critiques dû à l’absence de théories sur le graphisme. Ces vides amputent le design graphique d’une architecture et d’un squelette qui le rendraient à la fois plus compréhensible et plus solide : « Le graphisme existe depuis assez longtemps pour que son rôle dans la société soit facilement compris. Cependant, à la différence de l’architecture, de la littérature ou des beaux-arts, il s’est développé sans trop de réflexion théorique. » Jorge Frascara, 1988

Un des points que Frascara aborde est la réception du graphisme par l’Autre, en mettant en relation les sciences sociales et le design. Ainsi, il impose la notion de responsabilité dans la pratique du design graphique. En effet, pour l’auteur, « le design graphique est l’activité qui organise la communication visuelle dans la société. Il se préoccupe de l’efficacité de la communication, de la technologie utilisée pour sa mise en œuvre et de l’impact social qu’elle produit, autrement dit, de la responsabilité sociale. » Frascara estime que la responsabilité sociale dans le domaine du graphisme concerne, par exemple, « l’impact de toute communication visuelle sur la communauté et la manière dont son contenu influence les gens, [ou encore] l’impact de toute communication visuelle sur l’environnement visuel. »

« Les designers responsables deviennent actifs dans la définition de leur propre rôle, et des paradigmes au sein desquels ils opèrent. Le designer devrait dépasser la mise en forme d’éléments visuels constitutifs d’une campagne de communication et participer à la conception et à la poursuite d’une utopie réalisable, ainsi qu’au développement de la stratégie de communication à envisager. » [2]Jorge Frascara, 1997

Si les productions existent en partie à travers leur réception, elles prennent leur sens dans l’impact qu’elles provoquent chez l’Autre. Stéphane Vial théorise et développe cette idée de répercussion inévitable par ce qu’il nomme « l’effet de design ».

Dans son ouvrage Court traité du design, paru en 2014, le philosophe Stéphane Vial[3] aborde la manière dont le design « affecte, structure et encadre notre expérience quotidienne par la production d’effets »[4]. Apparaît ainsi « l’effet de design ».

Pour l’auteur, l’effet de design permet de rendre intelligible la distinction entre un objet et un objet design. Si nous ne pouvons pas confondre le travail de Barbara Kruger et les affiches d’Adopte récupérant pourtant sa signature graphique, comment expliquer cette distinction ? Au-delà d’une distinction basée sur des critères physiques, il existe un aspect spécifique au design qui réside dans cet effet. Si l’objet de design peut se distinguer par des choix esthétiques (formes, matières, couleurs), il serait réducteur de l’enfermer dans cette seule perspective. Car au-delà de son aspect, il s’agit d’une interaction avec l’utilisateur et l’environnement. Ainsi, il apparaît que l’utilisation de l’objet de design produit une sorte d’effet, un ressenti. Il n’est plus quelque chose qui est mais devient un événement, une chose qui se passe, qui se vit. Là où il y a du design, on ressent un effet. Le design n’est plus la chose en elle-même mais ce qu’il y a autour, ce qui en découle. « L’effet de design apparaît donc comme un événement qui se produit dans une expérience d’usager et transforme un usage brut comme une expérience à vivre. »[5]

b) Un effet tridimensionnel

L’effet design dont nous parlions ci-dessus, est défini par Stéphane Vial comme un système composé de trois principes imbriqués.

1. L’effet ontophanique : qui propose de vivre de nouvelles expériences, de modifier l’existence. Le design met en forme, de manière nouvelle, des dispositifs qui impactent les pratiques sociales, créant ainsi des formes nouvelles d’être et d’exister avec les autres.

2. L’effet callimorphique : l’effet de beauté formelle. Læ designer·euse est à l’origine d’une forme harmonieuse : « le design joue un rôle désormais essentiel dans nos sociétés postmodernes. C’est lui qui endosse désormais la responsabilité de satisfaire notre besoin fondamental de beauté »[6]. Cette dimension rappelle le design comme dessin, la question de l’esthétique n’est pas à exclure, elle n’est pas le cœur de la réflexion design, mais l’un de ses jalons.

3. L’effet socioplastique : la réforme sociale par la valeur d’usage de la production. Il s’agit de « la volonté de transformer la société et de faire advenir un monde meilleur [qui] est le cœur utopique du design »[7]. La dimension sociale du design l’inscrit dans une démarche pour autrui ; tournée vers l’Autre.

Les trois dimensions évoquées sont intimement imbriquées les unes aux autres. Si le design existe par l’esthétique, les enjeux contemporains lui attribuent une notion d’utilité et de service. De cette manière, il évolue en acte social influençant l’existence des individu·es et des sociétés. Les designer·euses sont en grande partie responsables de la perpétuation ou des transformations des normes de beauté, de surreprésentation de certaines catégories de personnes ou de sexualités. Ce trio semble former un tabouret qui nécessite un équilibre entre ses pieds, pour lui offrir toute la stabilité nécessaire à son usage.

Effet de design schéma

• L’exemple de la typographie inclusive

Iel est dégenrée

Source : Iel est dégenrée — Not Comic Sans, Adelphe, Cirrus Cumulus

Les recherches récentes sur l’inclusivité dans la typographie permettent d’illustrer cette tridimensionnalité. Les typographies inclusives – aujourd’hui appelées post-binaires dans ces pages – ont pour objectif premier la recherche d’égalité par la suppression des dominations dans le langage et l’écriture. Elles accompagnent les langages inclusifs dans ce besoin d’intégrer tous les genres. En effet, le mémoire[8] de Sophie Vela se penche sur la manière dont l’écriture inclusive peut être rendue accessible à tous·tes. Il s’avère que son étude[9], réalisée auprès de personnes concernées après la rédaction de ce mémoire, invalide les arguments prônant l’incapacité des personnes dyslexiques et neuro-atypiques à se saisir de l’écriture et de la typographie inclusives. Comme en témoigne une personne concernée interrogée dans sa recherche, « il faut arrêter de croire que parce que les dys ont un système d’apprentissage différent, iels sont incapables d’apprendre. »[10] Avec ses aspirations féministes intersectionnelles, ce type de caractères typographiques demande une remise en cause du système validiste et sexiste.[11]

Source : Manon Molinaro, Dyslexie, 2015. Campagne de 4 affiches pour la sensibilisation à la dyslexie.

Source : Manon Molinaro, Dyslexie, 2015. Campagne de 4 affiches pour la sensibilisation à la dyslexie.

Ces enjeux sociaux prennent forme dans la création de nouveaux caractères typographiques. La lecture d’un texte devient une nouvelle expérience, où l’adaptation nécessaire participe d’une réflexion autour de la problématique sociale traitée par la forme.

« Les graphistes et typographes se positionnent alors en chirurgien·nes dans leur espace d’expertise qu’est la création de nouveaux glyphes et proposent ainsi des formes d’« amoureux·se ». Ces recherches graphiques sur la typographie inclusive relèvent d’une urgence et d’une nécessité existentielles. »[12] Camille Circlude & Christella Bigingo, 2021

Source : Bye Bye Binary, BBB Baskervvol, 2022. Visuel pour le lancement de la typothèque BBB et du Queer Unicode Initiative.

La collective Bye Bye Binary[13] s’empare de cette question et propose notamment le caractère typographique BBB Baskervvol. Ce détournement du Baskervville, fort de sens, met en lumière l’histoire de ce caractère mondialement connu et utilisé : « Le Baskervvol est une reprise par BBB du Baskervville de l’Atelier national de Recherche typographique (ANRT), lui-même repris du Baskerville de Claude Jacob de 1784, dessiné par John Baskerville en 1750. John Baskerville est un cas exemplaire de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire de la typographie. Sarah Eaves, sa compagne et associée, qui reprit l’imprimerie à la mort de Baskerville, n’a jamais été créditée pour son travail bien qu’elle ait largement participé à l’élaboration de caractères et d’imprimés commercialisés par son mari ».[14]

Puisque cette pratique s’inscrit dans l’évolution des sociétés, Stéphane Vial rappelle la nécessité de résister à la tentation de faire du capital la fin du design, ce qui n’exclut pas – pour lui – le besoin de l’accepter en tant que moyen. Le design devient marketing lorsque capital et fin se confondent. Il « tombe (alors) dans l’écueil mercatique »[15]. Le design doit « produire un ‘effet de design’ au service des individus » et non ‘une valeur ajoutée’ aux services des marques »[16], autrement dit du client, idée qui se retrouve dans l’existence du caractère BBB Baskervvol.

« Le designer […] ne jouit pas d’une liberté sans bornes. Il est soumis à un faisceau complexe de contraintes et de normes en évolution permanente. Mais surtout : il est soumis au verdict des usagers. Il ne travaille pas seulement à partir de son désir propre (condition qui demeure toutefois indispensable à tout travail créatif), mais à partir du désir de l’autre. […] Il œuvre au service des gens et, à ce titre, il a une responsabilité envers autrui. »[17] Stéphane Vial, 2014

Ainsi, prendre conscience de cette notion d’effet invite à penser la conception d’un projet en adéquation avec les trois dimensions évoquées. Il semblerait que pour répondre à ces attentes, cet effet de design s’appuie sur la responsabilité des designer·euses graphiques en amont et tout au long de leurs productions.

 

  1. Jorge Frascara, “Graphic Design: Fine Art or Social Science?”, Design Issues, Vol.V, N°1, 1988
  2. Jorge Frascara, User-Centred Graphic Design : Mass Media or Social Science, CRC Press, 1997, p. 31.
  3. Maître de conférences en design à l’université de Nîmes et chercheur à l’Institut ACTE (UMR 8218), université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il a été professeur de philosophie à l’école Boulle (Paris).
  4. M. N. Folkmann, Préface de Stéphane Vial, Court traité du design, PUF, 2014.
  5. Enora Schmit, Invisible Design : la part belle à l’invisible, UFR humanités Département des Arts Université Bordeaux III, 2013.
  6. Stéphane Vial, op. cit., 2014.
  7. loc. cit.
  8. Sophie Vela, Avez-vous pensé aux marges?, mémoire de DNSEP, 2023
  9. Sophie Vela, «Écriture inclusive: obstacle infranchissable pour les personnes dys? Synthèse d’une étude de lisibilité», Révolution typographique post-binaire, 2022/ [en ligne]
  10. Extrait d’un échange avec Louna, avec qui Sophie Vela a été en contact tout au long de sa recherche. Elle est dyspraxique, TDAH, queer, et diplômée en graphisme.
  11. « Un billet pour dénoncer la récupération du handicap par les personnes qui s’opposent à l’écriture inclusive. Écrit par les personnes concernées par le validisme et le sexisme, ce billet demande aux personnes non concernées de cesser de brandir l’argument de la cécité, de la dyslexie ou de la dyspraxie pour justifier leur position, et aux personnes concernées mais réactionnaires d’arrêter de parler au nom de toute la communauté handie. » Les membres du GRAF, «Contre la récupération du handicap par les personnes anti-écriture inclusive», Hypothèses, 2020 [En ligne]
  12. Camille Circlude & Christella Bigingo, « De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non-binaires (ligatures et glyphes inclusives), les alternatives au point médian et au doublet observées dans les milieux activistes, queers et trans-pédé-bi-gouines. », Révolution typographique post-binaire, 2021. [En ligne]
  13. ​Bye Bye Binary (BBB) est une collective belgo-française, une expérimentation pédagogique, une communauté, un atelier de création typo-graphique variable, un réseau, une alliance.
  14. Bye Bye Binary, « Imaginaires typographiques inclusifs, queers et non binaires », RADDAR, Design politics, vol. 3, Lausanne, T&P Work UNit, 2021, p. 16-29.
  15. Stéphane Vial, op. cit, 2014
  16. loc. cit.
  17. loc. cit.

 

In principio erat verbum 16/01/23 - 18:18 Eugénie Bidaut Non classé Commentaires fermés sur In principio erat verbum In principio erat verbum

In principio erat verbum[1]

On pourrait penser que le langage n’est qu’un véhicule d’informations, un outil de communication neutre en lui-même, transportant la pensée de ses locuteur·ices sans l’altérer. Mais les mots façonnent le réel (j’entends par là le réel social) autant qu’ils sont façonnés par lui, lors d’un jugement, d’un mariage ou de la moindre déclaration administrative, c’est le langage qui crée le réel. En affectant le corps social, le langage prend également effet sur les conditions matérielles d’existence de ses locuteur·ices, il ne s’agit donc pas d’une considération à prendre à la légère. Il est tout à la fois le miroir, l’instrument et le moule de la société. C’est ce qu’en linguistique et en anthropologie on appelle l’hypothèse de Sapir-Whorf. Celle-ci soutient que les représentations mentales dépendent des catégories linguistiques, autrement dit que la façon dont on perçoit le monde dépend du langage.

Je dis que même les catégories abstraites et philosophiques agissent sur le réel en tant que social. Le langage projette des faisceaux de réalité sur le corps social. Il l’emboutit et le façonne violemment. Les corps des acteurs sociaux, par exemple, sont formés par le langage abstrait aussi bien que par le langage non abstrait. Car il y a une plastie du langage sur le réel. (Wittig, 1992)

C’est ainsi que, chaque fois que le masculin est utilisé comme neutre, est réaffirmée l’idée selon laquelle « la femme se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle ; elle est l’inessentiel en face de l’essentiel. Il est le sujet, il est l’Absolu : elle est l’Autre.» (Beauvoir, 1949)

La forme abstraite, le général, l’universel, c’est bien ce que le prétendu genre masculin grammatical veut dire. Historiquement, on peut constater que la classe des hommes s’est approprié l’universel et la possibilité de le manipuler à son compte sans qu’il semble même y avoir abus de pouvoir, en somme « naturellement »[2] Il faut bien comprendre que les hommes ne sont pas nés avec une capacité pour l’universel qui ferait défaut aux femmes à la naissance, réduites qu’elles seraient par constitution au spécifique et au particulier. Que l’universel ait été approprié historiquement, soit. Mais un fait de telle importance en ce qui concerne l’humanité n’est pas fait une fois pour toutes. Il se refait, se fait sans cesse, à chaque moment, il a besoin de la contribution active, hic et nunc, de l’ensemble des locuteurs pour prendre effet sans relâche. Il s’agit d’un acte perpétré par une classe contre l’autre et c’est un acte criminel. Ainsi donc, des crimes sont commis dans le langage au plan des concepts, en philosophie et en politique. (Wittig, 1992)

Une des solutions possibles à la correction de cette injustice, de cette « violence symbolique » comme dirait Bourdieu[3] est de visibiliser le féminin dans le langage afin de réintégrer les femmes dans nos systèmes de représentations. Car dans les faits, les femmes ne se sentent pas ou peu incluses dans le « masculin-neutre ».

Par exemple, en 1983, une étude a été menée sur des étudiant·es, celle-ci mesurait l’attractivité d’une carrière en psychologie pour les femmes en interrogeant les étudiant·es après leur avoir fait lire un paragraphe sur les standards d’éthique dans la profession. Les résultats ont montré que lorsque he or she ou she or he était utilisés plutôt qu’un he seul (ayant dans ce cas-ci valeur de neutre comme le « il » français), le métier apparaissait significativement plus attractif pour les femmes, et ce aux yeux des femmes comme des hommes (Briere et Lanktree, 1983). De nombreux travaux de recherches semblables publiés entre 1973 et aujourd’hui ont eu des résultats très similaires. (Bern & Bern, 1973 ; Moulton & Robinson & Elias, 1978 ; Stericker 1981 ; Wise & Rafferty, 1982 ; Dayhoff, 1983 ; Briere & Lanktree, 1983 ; Hyde, 1984 ; Shepelak & Ogden & Tobin-Bennett, 1984 ; Brooks, 1988 ; Hamilton, 1988 ; Wilson, 1988 ; Khosroshahi, 1989 ; Gastil, 1990 ; Hamilton, 1991 ; Cronin & Jreisat, 1995 ; Parks & Roberton, 1998 ; Madson & Hessling, 1999 ; Parks, 2000 ; Armengaud, 2003 ; Baider & Khaznadar & Moreau, 2007 ; Stahlberg & Braun & Irmen & Sczesny 2007 ; Landry & Brauer, 2008 ; Elmiger, 2008 ; Prewitt-Freilino & Caswell & Laakso, 2012 ; Abbou, 2013 ; Abbou, 2015 ; Elmiger, 2015 ; Gabriel & Gygax, 2016 ; Sato & Öttl & Gabriel & Gygax, 2016 ; Abbou 2017 ; Gygax & Elmiger & Zufferey & Garnham & Sczesny & von Stockhausen & Braun & Oakhill, 2019 ; Gygax & Gabriel & Zufferey 2019 ; Viennot, 2019 ; Gygax & Sato & Öttl & Gabriel 2021)

Une autre étude, française cette fois, publiée en 2005 et menée sur des élèves de quatrième et de troisième a montré une augmentation significative du sentiment d’auto-efficacité[4] des filles sur les professions stéréotypées masculines (et/ou à un haut statut social) lorsqu’une forme épicène était utilisée dans la rédaction de leurs descriptifs. Autre résultat intéressant et moins attendu de cette étude, les formes épicènes sont également bénéfique au sentiment d’auto-efficacité des garçons, les chercheur·ses supposent que cela pourrait être dû au fait qu’une forme masculine seule perpétue l’idée d’un masculin hégémonique potentiellement intimidant pour les jeunes garçons et que la présence du féminin participerait à rassurer. (Chatard & Guimond & Martinot, 2005)

Toutes ces études sont autant de preuves que la représentation du genre d’un·e individu·e dans le langage conditionne de manière non-négligeable la place qu’i·el se sent légitime à occuper dans la société et donc que l’écriture inclusive ou épicène est un moyen efficace pour participer à la construction d’un monde social plus égalitaire.

Schéma réalisé à partir des résultats de l’étude : Gygax, P., Gabriel, U., Zufferey, S., « Le masculin et ses multiples sens : Un problème pour notre cerveau... et notre société » Savoirs en Prisme, 10 (2019).

Schéma réalisé à partir des résultats de l’étude : Gygax, P., Gabriel, U., Zufferey, S., « Le masculin et ses multiples sens : Un problème pour notre cerveau… et notre société » Savoirs en Prisme, 10 (2019).

Bibliographie

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  1. « Au commencement était le Verbe » Prologue de l’évangile selon Jean.
  2. « La force de l’ordre masculin se voit au fait qu’il se passe de justification : la vision androcentrique s’impose comme neutre et n’a pas besoin de s’énoncer dans des discours visant à la légitimer. » (Bourdieu, 1998)
  3. « La violence symbolique est cette coercition qui ne s’institue que par l’intermédiaire de l’adhésion que le dominé ne peut manquer d’accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu’il ne dispose, pour le penser et pour se penser ou, mieux, pour penser sa relation avec lui, que d’instruments qu’il a en commun avec lui » (Bourdieu, 1997)
  4. Le sentiment d’auto-efficacité constitue la croyance qu’a un·e individu·e en sa capacité de réaliser une tâche. Plus grand est le sentiment d’auto-efficacité, plus élevés sont les objectifs qu’il ou elle s’impose et son engagement dans leur poursuite. La théorie de l’auto-efficacité a été élaborée par le psychologue canadien Albert Bandura dans le cadre théorique plus large de la théorie sociale cognitive.
Écriture inclusive: obstacle infranchissable pour les personnes dys? Synthèse d’une étude de lisibilité 30/11/22 - 19:20 Sophie Vela Non classé Commentaires fermés sur Écriture inclusive: obstacle infranchissable pour les personnes dys? Synthèse d’une étude de lisibilité Lisibilité. Fonte : DINdong (Clara Sambot).

Préambule

En janvier 2022, j’entreprenais de mener une étude sur la lisibilité des écritures inclusives pour les personnes ayant des troubles cognitifs impactant leur lecture et notamment les troubles dys, pour faire suite à mon mémoire rédigé à ce sujet. Souvent brandi comme un argument intouchable contre l’écriture inclusive, la dyslexie n’avait à ce jour jamais fait l’objet que d’une seule étude[1], dont les échantillons ne contenaient pas de typographies inclusives.

Face à ce constat et avec le besoin de comprendre si ces difficultés existaient, j’ai mené moi-même ce travail de recherche en allant à la rencontre de personnes concernées.

J’ai réalisé cette étude sans financement, dans le cadre d’une résidence de quatre mois à l’Hôtel Pasteur, tiers-lieu rennais accueillant divers projets.

Je me suis inspirée des prémices de l’étude réalisée par Camille Circlude et Christella Bigingo dans le cadre de leur Master de spécialisation en études de genre de la Fédération Wallonie-Bruxelles. I·els n’avaient pas pu poursuivre cette étude faute de cadre et de financement.

Par cette étude, on cherche à répondre à trois questions:
– L’écriture inclusive est-elle illisible pour les personnes dyslexiques?
– Quelles formes d’écritures inclusives posent des difficultés de lecture et pourquoi?
– Si des difficultés existent, sont-elles un frein à la compréhension d’un texte?

L’étude a été réalisée sur un échantillon de 140 volontaires, dont:
– 70 personnes sans difficultés de lecture composant le groupe témoin,
– 70 personnes ayant des troubles impactant leur lecture (troubles dys, troubles de l’attention, troubles du spectre autistique…) composant le groupe d’étude.

Photo d'un livret d'étude, ouvert.

Source: VELA, S., photographie d’archive de l’étude “Ecritures inclusives accessibles”, 2022

Sur ces 140 personnes, 22 ont participé à l’étude par le biais d’entretiens individuels ou collectifs. Les 118 autres ont rempli un formulaire numérique.

Afin d’obtenir des résultats hétérogènes et les plus neutres possibles, j’ai cherché à atteindre une mixité de genre et d’âge parmi les participant·es. De prime abord, il paraît évident que les femmes, personnes non-binaires, genderfuid et autres minorités de genre se sentent davantage concernées par l’utilisation de l’écriture inclusive, et que les jeunes générations sont plus habituées à la rencontrer à l’écrit, notamment via les réseaux sociaux.

 

Présentation de l’étude

Cette étude se base sur la lecture de 24 phrases courtes composées avec 5 caractères typographiques inclusifs[2] différents. Chaque caractère est décliné en différentes formes d’écriture inclusive: écriture épicène, utilisation du point médian et utilisation de ligatures inclusives expérimentales.
– Les caractères avec empattements BBB Baskervvol (Bye Bye Binary) et Times New Roman Inclusif (Eugénie Bidaut) ont été choisis pour leur proximité avec des polices plus habituelles telles que la Times New Roman
– Le choix de l’Homoneta (Quentin Lamouroux) a été fait pour son utilisation massive de ligatures (au-delà des ligatures inclusives)
– Les BBB BNM Lunch (Bye Bye Binary) et DIN Dong (Clara Sambot), sans empattements, ont des formes et largeurs de lettres variables et hors-normes, ce qui est parfois recommandé dans l’apprentissage de la lecture pour les personnes dyslexiques[3].

Vue d'exemples de trois pages de l'étude. Sur chacune, on voit trois phrases rédigées en inclusif, en utilisant soit le point médian, soit l'écriture épicène, soit des glyphes inclusifs. Le tout avec un caractère différent à chaque fois.

Source: VELA, S., échantillons utilisés dans l’étude “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Certaines phrases ont été rédigées entièrement en capitales, car cela a un impact sur la rapidité et facilité de lecture pour certaines personnes dyslexiques, et elles ont un caractère répétitif pour pouvoir comparer les différentes propositions.

Les phrases ont été réparties en 8 groupes de 3, tels que 1a, 1b, 1c, 2a, 2b, 2c, etc. Pour chaque groupe de phrase, on demandait:
– Avez-vous compris le sens des phrases?
– Avez-vous eu des difficultés de compréhension? Si oui, lesquelles?
– Avez-vous eu des difficultés de lecture (déchiffrage de certains mots/lettres)?
– Si oui, lesquelles?

On peut préciser ici la différence entre
– les difficultés de compréhension qui ne relèvent que de la compréhension sémantique des phrases ; il est possible de comprendre le sens d’une phrase même s’il nous faut des efforts pour la lire
– les difficultés de lecture qui relèvent de la lisibilité des caractères et de leur facilité de déchiffrage.

Avant d’analyser les réponse des participant·es, et suite à plus d’un an de recherche sur le sujet, j’avais émis la théorie que l’écriture inclusive n’est pas un obstacle à la compréhension d’un texte puisque nous lisons non pas en nous attardant sur chaque lettre mais bien en saisissant la globalité d’un mot, voire d’une phrase[4]. Vous avez d’ailleurs sûrement déjà vu ce test de lecture populaire :

Texte nommé "l'ordre des lettres" où dans chaque mot, les lettres sont mélangées, à l'exception de la première et de la dernière, afin de montrer que cela n'est pas un obstacle à la bonne lecture du texte.

Source: image populaire circulant sur les réseaux sociaux, source inconnue

Je n’ai pas pu identifier la source de cette étude[5] ni même vérifier qu’une telle étude ait existé, mais le constat est là: vous avez sûrement réussi à lire ce texte malgré l’inversion des lettres au sein des mots.

Un des manques de cette étude est la lecture de textes plus longs, qui a été impossible par manque de temps. Ainsi, la forte présence des ligatures dans ces phrases courtes peut donner l’impression qu’un texte long en serait fortement chargé. Or, en réalité, l’écriture inclusive ne concerne qu’un champ grammatical réduit; celui des accords, et ne s’applique donc pas à l’ensemble des mots d’un texte. On peut prendre exemple sur un texte de littérature classique, comme cela m’a été suggéré. Ici un extrait de Guerre et Paix de Léon Tolstoï, rendu plus inclusif:

Extrait de Guerre et Paix en écriture inclusive.

Source: Tolstoi, L, Guerre et Paix, 1865. (extrait composé en Times New Roman Inclusif, Bidaut, E.)

Les phrases proposées dans l’étude ont donc été formulées de sorte à accentuer l’utilisation de l’écriture inclusive, malgré leur faible nombre de mots.

Composition des groupes

De façon générale, il ne m’a pas été simple de réunir le nombre espéré de participant·es, et il m’a surtout été très complexe de toucher des hommes. J’ai dû, à un moment de l’étude, ne plus accepter de participations de femmes, personnes non-binaires, genderfluid, et autres minorités de genre afin de tenter d’équilibrer la balance. Les hommes représentent finalement moins d’⅓ de l’ensemble des participant·es (21 dans le groupe d’étude et 31 dans le groupe témoin).

En fin de questionnaire, les participant·es pouvaient préciser si i·els pensaient être informé·es en termes de questions de genre. Seul·es 10 d’entre elle·ux ont répondu n’être pas ou peu sensibilisé·es. Ce constat se rapproche des arguments avancés dans un précédent article présentant la critique de l’écriture inclusive comme, entre autres, un biais sexiste sans fondements.

L’âge des participant·es s’étend de 16 à 59 ans, avec une majorité de participant·es ayant entre 20 et 35 ans, et près de la moitié (65 personnes) ayant entre 20 et 25 ans. Si les deux groupes sont plutôt homogènes, on constate une moyenne d’âge plus élevée dans le groupe témoin qui peut s’expliquer par des diagnostics plus rares chez les personnes de plus de 35 ans[6].

Malgré une tentative d’avoir un échantillon de personnes mixte en termes d’âge et de genre, on constate que les jeunes, les femmes et les personnes queer composent la majorité des répondant·es à l’étude.

Question d’habitude?

Les 140 participant·es ont pu partager leurs habitudes quant à la lecture des écritures inclusives. À la question «Avez-vous déjà rencontré l’écriture inclusive? Sous quelle forme?»
– 20 personnes ont affirmé ne l’avoir jamais rencontrée, quelle que soit sa forme;
– 60 personnes affirment avoir déjà vu le point médian en usage, mais jamais les glyphes inclusifs;
– 60 personnes ont simplement répondu « oui », sans plus de précisions, on ne peut donc affirmer précisément quelles formes elles avaient déjà rencontrées.

On peut affirmer qu’au moins 80 personnes n’avaient jamais vu d’expérimentations typographiques inclusives, soit plus de 50% du groupe interrogé.

Dans le groupe d’étude comme dans le groupe témoin, les personnes affirmant n’avoir jamais rencontré l’écriture inclusive ont entre 18 et 59 ans et celles répondant un oui franc ont entre 18 et 51 ans. Contrairement aux idées reçues, on constate que l’écriture inclusive n’est pas qu’une question de génération. On précisera que les personnes étrangères à l’écriture inclusive sont légèrement plus nombreuses dans le groupe d’étude.

La question de l’habitude a donc ici une place non négligeable: la lecture est un apprentissage, ainsi il est évident que lorsque nous voyons une lettre ou un signe typographique pour la première fois, il nous faut un temps d’adaptation et de réflexion. En discutant des résultats avec Christella Bigingo, elle me rappelle d’ailleurs que c’est le principe même de l’apprentissage de la lecture: lire, relire plusieurs fois la même chose avant de la comprendre. Ce point est important pour analyser les résultats qui vont suivre.

Compréhension sémantique

Avec 24 phrases par participant·es et 140 participant·es, c’est un total de 1920 phrases qui ont été lues. Parmi elles, seulement 72 ont posé un doûte sémantique, et 35 n’ont pas été comprises. 95% des propositions ont donc été comprises sans accroc, et ce de façon égale dans les deux groupes.

Les doutes ont été émis par 37 personnes (soit en moyenne 3 phrases incomprises par personne) de tout âge (22 à 59) et de tous genres (16H, 12F, 9Q), ce qui signifie que 103 personnes n’ont eu aucun doute sur le sens des phrases qui étaient proposées.

Graphique sur la compréhension sémantique, de type "camembert". On y lit que la presque totalité des personnes ont compris le texte, et que seules quelques unes ont eu un doute ou n'ont pas compris.

Source: VELA, S., graphique issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Cependant, certaines personnes ont exprimé des difficultés[7] malgré la compréhension globale de la phrase – on en déduit plusieurs lectures avant de saisir totalement le sens. En s’y penchant de plus près, on constate que les phrases qui ont posé le plus de difficultés sont les mêmes dans chacun des groupes. Si les personnes du groupe d’étude sont plus nombreuses à avoir exprimé des difficultés pour ces trois exemples, l’écart avec le nombre de personnes en difficulté dans le groupe témoin reste faible.

Tableau comparant les difficultés des groupes d'étude et témoin sur 3 échantillons différents.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

On peut remarquer que le point médian n’apparaît pas dans les propositions énoncées ci-dessus. En effet, les phrases l’utilisant ont posé au maximum 6 difficultés chacune (tous groupes réunis) et pour 5 d’entre elles, davantage de difficultés sont énoncées par le groupe témoin, ce qui nous permet d’éliminer dans ce cas précis la théorie selon laquelle c’est la dyslexie qui provoque des difficultés de lecture de l’écriture inclusive .

Avec ces résultats, nous pouvons donc affirmer que l’écriture inclusive ne complexifie que peu, voire pas, la compréhension d’un texte lorsqu’elle utilise le point médian, forme la plus répandue des écritures inclusives, y compris pour les personnes ayant des troubles cognitifs impactant la lecture.

L’utilisation de ligatures non-binaires, quant à elle, complexifie davantage la compréhension, notamment pour les personnes dys, mais cette complexité est présente dans les deux groupes. Nous l’avons vu, ces ligatures étaient inconnues pour de nombreux·ses participant·es, il semble cohérent qu’elles compliquent légèrement leur lecture, créant de nouveaux mots et/ou déformant les lettres auxquelles nous sommes habitué·es.

Lisibilité

On entend par lisibilité ce qui touche au déchiffrage des lettres. Ici, ce sont 648 difficultés (sur 1920 phrases lues) qui ont été énoncées par l’ensemble des participant·es.

On constate que si le groupe d’étude déclare davantage de difficultés (389), l’écart n’est pas immense avec le groupe témoin (259), et que des difficultés de déchiffrage sont exprimées par la plupart des participant·es. Seules 13 personnes sur les 140 interrogées indiquent n’avoir eu aucune difficulté de lisibilité, dont 8 sont du groupe témoin et 5 du groupe d’étude. Ainsi, 90% des personnes interrogées ont exprimé au moins une difficulté de lecture parmi les 24 phrases.

Reste alors à comprendre quelles sont ces difficultés. Parmi les phrases étudiées, 3 ont posé problème à plus de 50% des participant·es. Ces trois échantillons ont compliqué la lecture des personnes concernées comme témoin, avec un écart d’environ une dizaine de personnes entre les deux groupes.

Comparaison des réponses des deux groupes sur trois échantillons. On remarque que les résultats sont relativement proches à chaque fois.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

 

Sept autres échantillons ont posé problème à au moins 28,6% du groupe d’étude:

 

Comparaison des réponses des deux groupes sur 7 échantillons utilisant des glyphes inclusifs.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

À l’exception du deuxième échantillon qui utilise le point médian, l’ensemble des propositions ayant été compliquées à déchiffrer font usage de ligatures inclusives. Aucune des 7 propositions faisant usage du point médian n’a provoqué de difficultés à plus de 25% des participant·es, et 4 d’entre elles ont posé problème à moins de 10 personnes (7%) – tous groupes confondus.

Sur l’ensemble des difficultés de lecture liées à l’écriture inclusive, on constate cette répartition:
– 16% de difficultés liées à l’utilisation du point médian;
– 84% de difficultés liées à l’utilisation de typographies inclusives.

De manière générale, les difficultés, lorsqu’elles sont énoncées, peuvent être réparties en deux groupes :
– le besoin de plusieurs lectures ou une lecture plus lente du texte;
– l’impression qu’il manque des lettres ou qu’elles sont coupées.

Dans le premier cas, on ne peut pas parler d’une impossibilité à déchiffrer le texte mais plutôt de s’habituer aux nouvelles lettres en s’y attardant davantage, comme dans tout processus d’apprentissage. Dans le second cas, on constate l’incompréhension face à de nouvelles lettres qui ne ressemblent pas à celles que nous connaissons, et qui sont donc compliquées à assimiler.

Résultats croisés

Pour mettre plus de sens à ces résultats, il est nécessaire de comparer les difficultés de lecture et de compréhension, même si nous avons déjà vu que ces dernières sont assez peu significatives. Pour cela, nous pouvons prendre exemple sur les 4 échantillons revenant le plus souvent dans les difficultés exprimées par les participant·es.

Tableau comparant les difficultés de lecture et de lisibilité de chacun des groupes, pour 4 échantillons. On y voit que souvent, les personnes ayant eu des difficultés de lisibilité sont bien plus nombreuses que celles ayant eu des difficultés de compréhension, et qu'il est donc possible de comprendre une phrase malgré quelques difficultés.

Source: VELA, S., tableau issu des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Nous pouvons donc affirmer que les difficultés de lecture liées au point médian, bien qu’elles existent pour certaines personnes, n’empêchent pas la compréhension d’un texte court dans la grande majorité des cas. Ensuite, nous pouvons comparer les habitudes de lecture des participant·es à leurs difficultés de lecture. Si 20 personnes n’avaient jamais rencontré le point médian, seules deux propositions l’utilisant ont posé problème à plus de 20 personnes, uniquement en termes de lisibilité. Cela signifie que certaines personnes n’ayant jamais vu cette forme d’écriture n’ont pour autant eu de difficultés ni à la lire ni à la comprendre.

Pour ce qui est des ligatures inclusives, 80 personnes n’y avaient jamais été confrontées. Seuls deux échantillons en utilisant ont posé des difficultés à 80 personnes ou plus. Ce qui signifie, ici encore, que certain·es participant·es découvraient pour la première fois ces expérimentations et ont tout de même réussi à les lire et à les comprendre.

Enfin, on constate que les personnes étrangères à l’écriture inclusive étaient plus nombreuses dans le groupe d’étude: cela peut-il expliquer l’écart de difficultés entre les deux groupes, et donc écarter la théorie qui attribue des difficultés supplémentaires pour les personnes dyslexiques. Seule une étude sur un échantillon plus important de personnes pourrait le confirmer, mais c’est une théorie probable au vu de l’ensemble de ces résultats.

Comparaison de deux graphiques type "camembert", l'un est "avez vous déjà vu des ligatures inclusives" et l'autre est "avez-vous eu des difficultés avec la proposition 8C" (proposition contenant des glyphes inclusifs). On voit que les deux camemberts sont presque similaires, ce qui marque l'importance de l'habitude dans la bonne lisibilité.

Source: VELA, S., graphiques issus des résultats de la recherche “Ecritures Inclusives Accessibles”, 2022

Conclusion

On ne peut nier que des difficultés existent à la lecture de phrases utilisant l’écriture inclusive mais
– elles n’empêchent pas la compréhension sémantique des phrases;
– elles existent majoritairement lors d’utilisation de ligatures inclusives, signes typographiques qui étaient pour plus de la moitié des participant·es inconnues avant de répondre à l’enquête;
– elles sont plus nombreuses chez les personnes ayant des troubles cognitifs tels que la dyslexie, l’autisme, les troubles de l’attention, mais elles existent aussi chez les personnes n’en ayant aucun, dans une moindre proportion;
– le nombre de personnes ayant rencontré des difficultés de lecture est souvent inférieur au nombre de personnes n’ayant jamais rencontré l’écriture inclusive.

Nous pouvons donc en conclure que l’écriture inclusive n’est pas «illisible pour les personnes dys», comme on l’entend souvent, et même préciser plus globalement, qu’elle n’est pas illisible en soi. En effet, l’écriture inclusive utilisant le point médian – la plus répandue aujourd’hui – n’empêche pas la compréhension sémantique des textes et ne freine que très peu le déchiffrage des lettres. De leur côté, les ligatures inclusives, ces nouvelles lettres tendant vers la non-binarité de l’écriture, ont demandé des efforts à de nombreux·ses participant·es, mais i·els les découvraient pour la première fois, et ont pour autant compris le sens des phrases qui en utilisaient.

En comparant le nombre de personnes ayant eu des difficultés, et le nombre de celles n’ayant jamais vu les signes typographiques qui créent l’inclusif (point médian et/ou ligatures), on constate que ces difficultés découlent indéniablement d’un manque d’apprentissage et d’habitude vis-à-vis de celles-ci, quel que soit le handicap, l’âge et l’identité de genre de chaque personne.

La solution aux difficultés qui persistent reposent donc sur un élément majeur : l’apprentissage. Je concluerais cette synthèse par cette citation d’un participant à l’étude, porteur de plusieurs troubles dys :

«  Tout ce que j’arrive à lire, c’est parce que je l’ai appris en séance d’orthophonie. Si, durant mes séances, j’avais découvert l’écriture inclusive, je n’aurais aujourd’hui aucun mal à la lire. Certes, cela me demande donc des efforts, mais ça en vaut la peine pour inclure tout le monde.  »

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  2. Dessins de caractères issus du mouvement de la typographie inclusive, répertoriés dans cet inventaire : https://typo-inclusive.net/inventaire/
  3. c.f. Vidéo de Christian Boer donnant des recommandations pour des typographies plus accessibles aux personnes dys. C. Boer est dessinateur de caractère et dyslexique. Dyslexie Distributor AuxiliDys
  4. Vela, S. (2021), « Avez-vous pensé aux marges? » [Mémoire de master, EESAB Rennes]
  5. En 2003, Matt Davis, chercheur à Cambridge au Groupe Langue et Discours de l’Unité des Sciences de la Connaissance et du Cerveau du Medical Research Council signalait qu’il n’y avait aucune recherche menée à Cambridge sur le phénomène décrit.
  6. Plusieurs participant·es de plus de 40 ans m’ont expliqué ne pas avoir de réel diagnostic et avoir compris tardivement qu’i·els étaient dyslexiques, par exemple quand la question s’est posée pour leurs propres enfants.
  7. Dans la comptabilisation des difficultés de compréhension des phrases, les difficultés sans lien avec l’écriture inclusive ont été écartées. Par exemple, les difficultés liées à la méconnaissance d’un mot, à l’écriture en lettres capitales, à la syntaxe de la phrase ne sont pas prises en compte.

 

La typographie inclusive, non-binaire, post-binaire peut-elle être considérée comme une forme d’art ? 18/09/22 - 18:38 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur La typographie inclusive, non-binaire, post-binaire peut-elle être considérée comme une forme d’art ? Art vs fonctionnel

« Je comprends mieux votre projet, c’est un projet artistique,
une vue de l’esprit, il ne pourra jamais être implémenté. »

Source : Furter, L ; Salabert Triby, L., Patard, J. Agité·e, Exposition Subversif·ves, graphisme, genre & pouvoir, Mudac (Lausanne), 2021.

Source : Furter, L ; Salabert Triby, L., Patard, J. Agité·e, Exposition Subversif·ves, graphisme, genre & pouvoir, Mudac (Lausanne), 2021.

Voici une intervention qui a pu m’être faite à la suite d’une conférence, lors d’un moment d’échange avec le public, où je présentais les travaux sur la typographie inclusive, non-binaire, post-binaire. Situer ces travaux dans le champ artistique permettait à cette personne d’être rassurée quant à la possibilité que ces expérimentations deviennent un jour généralisées au point qu’il doive lui-même en faire usage. Placer ces travaux dans le champ artistique permettait une mise à distance rassurante pour lui.

À certains égards, je ne peux pas lui donner tort quand il évoque une « vue de l’esprit ». En effet, depuis les débuts des recherches dans ce domaine, la collective Bye Bye Binary prône la création de « nouveaux imaginaires »[1]. Les recherches étaient si inexistantes que tout était à créer, inventer. À travers ces expérimentations typographiques, il s’agit avant tout d’un espace de représentation, et donc d’expression, pour des personnes (non-binaire, agenre, genderfluid, intersexe, …) ne se reconnaissant pas dans la binarité du régime de la différence sexuelle.

Des formes, comme le caractère Chaîne, recherche une esthétique proche de l’illisibilité, un aspect cryptique à décoder qui permet une reconnaissance par les initié·es. Ce caractère devient un signe de reconnaissance, un marqueur culturel, que seul·es les pair·es sont à même de reconnaître. Il s’agit aussi de multiplier les expériences afin de ne pas assigner de nouvelles normes et d’accueillir toutes les expérimentations y compris les plus complexes[2].

Source : Conant L., Chaîne, 2020.

Source : Conant L., Chaîne, 2020.

Ces expérimentations typographiques produisent de la beauté, des formes de représentations de la réalité, des créations formelles, une expérience esthétique propre et un choc esthétique. En cela, elles peuvent être considérées comme de l’art si on s’en tient à la définition de l’art en vogue dans les années 70’ (Tatarkiewicz 1971). L’aspect pionnier des ces recherches permettent également de les classer dans le domaine artistique, c’est toute l’histoire des avant-gardes.

​​« (…) l’esthétique de la priorité l’emporte sur celle de la perfection, et la valeur de position historique, sur la valeur artistique absolue. »
(Klein, 1970, p. 19 in Moulin, 1986).

Par ailleurs, les dessinateur·ices de caractères typographiques poursuivent leur formation dans des écoles d’art, où les disciplines d’arts appliqués (design graphique, communication visuelle, typographie, …) côtoient les pratiques artistiques (dessin, peinture, sculpture, …), ce qui vient légitimer l’idée que la typographie est une forme d’art.

Bartolini, T. & Circlude, C. Le génie isolé n'existe pas, Festival Extra!, Centre Pompidou, septembre 2022.

Source : Bartolini, T. & Circlude, C. Le génie isolé n’existe pas, Festival Extra!, Centre Pompidou (Paris). 2022.

En 2020, la Tribune de Genève[3] définit le travail de Tristan Bartolini comme « la première typographie inclusive » et opère, par la même occasion, une distorsion historique puisqu’il ne s’agit en rien de la première. Comme l’indique Bye Bye Binary dans son communiqué de presse, « La typographie inclusive, un mouvement ! »[4], ces recherches en typographie sont le fruit d’une action collective, d’un ensemble d’interactions, d’une variété d’acteurs sociaux (Becker, 1982 in Zolberg, 1990) et non le fait d’un génie isolé[5]. Les pratiques collectives simultanées sont-elles ici considérées comme œuvre d’art, et par qui ?

L’espace médiatique semble encore fort peu enclin à considérer l’art en dehors de l’expression spontanée d’un génie individuel (Zolberg, 1990). Depuis 2020, certains médias (Le magazine M du Monde, Arte, Libération) ont rectifié le tir en présentant les travaux de façon plus collective, malgré tout le public a été marqué par la découverte de ces recherches au travers d’un seul nom qui reste gravé de façon erronée comme précurseur. En 2022, la programmation de la collective Bye Bye Binary au Centre Pompidou dans le cadre du festival Extra ! permet à la collective d’inviter, Tristan Bartolini, en combo avec Camille Circlude, à boucler la boucle de cette distorsion historique. Réuni·es en binôme pour la circonstance, nous déconstruisons l’idée romantique du génie isolé en détournant ses attributs vers le collectif. La position d’institutions comme celle du musée, qui glorifie des destins individuels au détriment de trajectoires collectives, est aussi questionnée dans notre proposition graphique.

Aujourd’hui, nous voyons apparaître cette forme de validation par certaines institutions culturelles qui passent commande de ces formes soit à des fins curatoriales ou à des fins communicationnelles. Ces institutions actionnent un triple effet de légitimation, à la fois celui de la légitimation des pratiques typographiques apportant la reconnaissance sociale aux dessinateur·ices, mais aussi leur propre légitimation en tant que dénicheur·ses de talents, cherchant continuellement de nouveaux artistes à promouvoir (Moulin, 1986), ainsi que la légitimation de leurs positions progressistes en faveur de l’inclusion de personnes minorisées. Il peut être à craindre une dérive de queerwashing dont il est important de se préserver, tant que faire se peut, c’est le jeu des alliances partielles[6].

Bye Bye Binary. Festival Extra!, Centre Pompidou (Paris). 2022.

Source : Bye Bye Binary. Festival Extra!, Centre Pompidou (Paris). 2022.

La curation

Source : Bye Bye Binary. Queer Bloc. Biennale de Design de Saint-Etienne. 2019. (photo ©La fille d'à côté).

Source : Bye Bye Binary. Queer Bloc. Biennale de Design de Saint-Etienne. 2019. (photo ©La fille d’à côté).

Source : Bye Bye Binary, fresque typographique, Exposition Masculinities, Musée Mode & Dentelle (Bruxelles), 2020.

Source : Bye Bye Binary. Exposition Masculinities, Musée Mode & Dentelle (Bruxelles). 2020.

En avril 2019 Bye Bye Binary performe un Queer Bloc, dans la ville recomposée de Stefania lors de la Biennale de Design de Saint-Etienne (FR); en juillet 2020 la collective réalise une fresque murale pour l’exposition Masculinities au Musée Mode & Dentelles de Bruxelles (BE) ; en mai 2021 la collective participe à l’exposition Subversif·ves, graphisme, genre & pouvoir au Mudac de Lausanne (CH) , ainsi qu’à The Many-Faced God·dess, à la Maison populaire de Montreuil (FR): en septembre 2021 le Centre Wallonie-Bruxelles de Paris (FR) invite la collective à exposer et à performer dans les rues du Marais ; en janvier 2022 Recyclart à Bruxelles (BE) invite la collective à investir son lieu ; en avril 2022 une rétrospective des travaux est donnée à voir à la Galerie de l’erg à Bruxelles (BE); en juin 2022 la collective participe à l’exposition Queer Rising à La Fabrique de Toulouse (FR), e.a.

En septembre 2022, les expérimentations typographiques de Bye Bye Binary entrent au Centre Pompidou par la voie du festival Extra!, le festival de la littérature vivante. Neuf affiches originales grand format sont réalisées pour l’occasion. Comme point de départ pour la création graphique : les colères qui nous animent. Cette thématique fait écho au Salon des Colères programmé dans le cadre du festival. Pour la réalisation de ces affiches, des invitations sont formulées : Marie-Mam Sai Bellier, Emilie Aurat et Tristan Bartolini rejoignent la collective pour cette exposition.

En déplaçant ces objets graphiques de la militance vers des espaces de monstration, des glissements s’opèrent à plusieurs niveaux :

  1. Les objets graphiques sont considérés comme des œuvres en tant que telles et plus comme des outils de l’action directe. Par exemple, les drapeaux imprimés exposés n’ont jamais été utilisés en manifestation. Ils ont été conçus directement pour l’espace d’exposition ou en vue d’être utilisés lors de performances. À l’inverse, les banderoles réalisées par Bye Bye Binary pour les manifestations du 8 mars ont d’abord été utilisées en manifestation pour ensuite trouver leur place en tant qu’objets exposés. Le glissement peut s’opérer dans les deux sens.
  2. Les objets graphiques ne sont plus aux mains des utilisteur·ices, mais ils se laissent regarder sans être utilisés.
  3. L’intention des objets graphiques est déplacée de l’aspect fonctionnel de la typographie vers un objet d’art.
Source : Bye Bye Binary. Exposition Queer Rising (Toulouse). 2022.

Source : Bye Bye Binary. Exposition Queer Rising (Toulouse). 2022.

La commande

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

D’autres institutions culturelles souhaitent faire identité grâce à la typographie elle-même peuvent financer, si pas la commande d’un caractère complet qui demande plus de moyens, à minima celle d’un fork inclusif d’une fonte existante sous licence libre qui permet un dessin alternatif. En passant commande et offrant une rémunération (parfois symbolique), ces institutions culturelles font également office de mécènes, commanditaires, permettant de soutenir la création et la recherche.

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

Source : Wallonie-Bruxelles Design Mode. 15 Years WBDM 30 Interviews. 2020. (photo © Kidnap Your Designer).

Source : Bye Bye Binary. BBB BNM Lunch Fluid Mutantxs Friendly. Ballet national de Marseille. 2021.

Source : Bye Bye Binary. BBB BNM Lunch (Fluid, Mutantxs, Friendly). Ballet National de Marseille. 2021.

En 2020, Wallonie-Bruxelles Design Mode permet d’augmenter le travail en cours sur le BBB Baskervvol. C’est en relevant les usages dans la mise en page de leur livre anniversaire, 15 Years WBDM 30 Interviews, qu’il a été possible de passer d’une dizaine de glyphes dessinés pendant le workshop de novembre 2018 à plus de 40 glyphes. Ce relevé a également servi, e.a., à la mise en place du Queer Unicode Initiative. En septembre 2021, Bye Bye Binary anime un workshop au Ballet National de Marseille (direction (LA)HORDE) sous l’invitation d’Alice Gavin Services. En résulte un fork collectif du caractère existant Lunch en trois graisses déclinées : la Friendly, la Fluid et la Mutantxs.

En 2022, plusieurs acteur·ices culturell·es à Bruxelles se dotent de forks dont une première Google Fonts, la Poppins pour le Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Le festival FAME, avec un fork de la Sprat, ou encore le Théâtre de La Balsamine, avec un fork de la Karrik ont commandé le dessin de typographies inclusives spécifiques pour leurs identités graphiques respectives.

Source : Bidaut, E. & Circlude, C., BBB Poppins. Théâtre National Wallonie-Bruxelles (Bruxelles). 2022.

Source : Bidaut, E. & Circlude, C. BBB Poppins. Théâtre National Wallonie-Bruxelles (Bruxelles). 2022.

Source : Lamouroux, Q. & Sambot, C. BBB Karrik. La Balsamine (Bruxelles). 2022. (image © Kidnap Your Designer)

Source : Lamouroux, Q. & Sambot, C. BBB Karrik. La Balsamine (Bruxelles). 2022. (image © Kidnap Your Designer)

Il n’est pas surprenant de voir des institutions dans le secteur du théâtre, de la danse et de la performance se positionner sur cette question puisqu’i·els travaillent directement à la représentation des corps. La typographie est une extension de l’espace symbolique de la représentation. La typographie inclusive, cette drag queer qui vous parle.

A contrario, alors que plusieurs chercheur·ses en typographie planchent sur les aspects fonctionnels pour une plus grande accessibilité au grand public, le classement de ces recherches dans le domaine « artistique » a comme effet contradictoire de les discréditer. Tel était l’objectif de l’interpellation citée précédemment : si les expérimentations typographiques sont de l’art, elles ne peuvent pas être implémentées.

Source : Bidaut, E. & Patard, J. BBB Sprat. Fame Festival (Bruxelles). 2022.(image © Kidnap Your Designer).

Source : Bidaut, E. & Patard, J. BBB Sprat. Fame Festival (Bruxelles). 2022. (image © Kidnap Your Designer).

Alors que oui, la mise en place du Queer Unicode Initiative (QUNI) en 2021, protocole d’encodage commun dans le système Unicode, permet de coordonner les différentes expérimentations typographiques et d’en faciliter l’usage par des non-initié·es dans les logiciels de traitement de texte, de façon à rendre ces recherches plus accessibles à toust·es. En favorisant la licence libre et la mise à disposition gratuite de ces fontes via une typothèque[7], la collective vise aussi à diffuser largement ses recherches.

Par la matérialité de cette typothèque accessible à toust·es, la collective opère un glissement beaucoup plus tangible du champ de l’art, alors que les recherches en étaient à un stade non-fonctionnel, vers une réappropriation de ces expérimentations en tant qu’outil par un large public, en dehors des graphistes initié·es. Nous pouvons y voir des allers-retours entre culture basse (les premières expérimentations typographiques des fanzines militants, Abbou, 2011) vers la culture haute (commande de musées, expositions, mécénat) et à nouveau un retour vers la culture basse (grâce aux outils de diffusion et la prolifération des pratiques); ce qui correspond à la démocratisation culturelle chez Bourdieu, l’art de haute culture pour toust·es.

Source : Maubouss M., pronoms non-binaires sur marbre, typographie DINdong Sambot C. Galerie de l'erg (Bruxelles). 2022.

Source : Maubouss M., pronoms non-binaires sur marbre, typographie DINdong Sambot C. Galerie de l’erg (Bruxelles). 2022.

La mise à disposition de ces typographies en licence libre inspire des œuvres gravées dans le marbre à Maxime Maubouss, qui expose et vend ses pièces dans une économie plus classique sur le marché de l’art, en leur attribuant un prix et en les exposant. La matérialité du marbre comme support légitime-il davantage la typographie comme œuvre d’art ? Peut-on considérer la typographie comme œuvre elle-même ? Læ dessinateur·ice de caractères est-i·el moins ou plus l’auteur·ice / artiste que læ tailleur·se de pierre ?

Que les expérimentations typographiques soient vues comme artistiques et/ou fonctionnelles, elles sont toutes les deux valorisées et légitimes, la collective Bye Bye Binary ayant fait le choix du non-choix pour permettre à toust·es d’exister.

Si nous sommes en accord avec le postulat que certaines formes d’art peuvent être l’expression d’un contre pouvoir, reste alors à trancher la question de savoir si un outil émancipateur dans les mains de toust·es n’est pas une certaine forme d’art ?

Source : Maubouss M., typographie inclusive sur marbre, typographie Homoneta, Lamouroux Q., Galerie de l'erg (Bruxelles). 2022.

Source : Maubouss M., typographie inclusive sur marbre, typographie Homoneta, Lamouroux Q., Galerie de l’erg (Bruxelles). 2022.

Bibliographie

Abbou, J. (2011). L’antisexisme linguistique dans les brochures libertaires. Pratiques d’écriture et métadiscours. Thèse de doctorat en Sciences du Langage, Université d’Aix-Marseille.

Abbou, J. (2013). Pratiques graphiques du genre, Langues et cité, Numéro 24.

Bourdieu, P. (1991). Le champ littéraire, Actes de la recherche en sciences sociales, vol.89, n°1, p.19.

Dumont, F., Sofio, S. (2007). Esquisse d’une épistémologie de la théorisation féministe en art. Cahiers du genre, 43(2), 17-43.

Haraway, D. (1988). Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective. Feminist Studies.

Moulin, R. (1986). Le marché et le musée. La constitution des valeurs artistiques contemporaines. Revue française de sociologie, XXVII, 369-395.

Nochlin, L. (1971). Why have there been no great women artists [Archives]. France: Artenews.

Nochlin, L. (1993). Femmes, art et pouvoir: et autres essais. France: Editions Jacqueline Chambon.

Tatarkiewicz, W. (1971). What is Art ? Problem of Definition Today, British Journal of Aesthetics, 11 (2):134.

Zolberg, V. (1990). Are artists born or made? In Constructing a Sociology of the Arts (Contemporary Sociology, pp. 107-135). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9780511557712.006

  1. « Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive » était le titre du premier workshop organisé par la collective Bye Bye Binary.
  2. voir « Le Queer est-il lisible ? » https://typo-inclusive.net/accessibiliteinclusive/#post-458-_wvisny76sysr
  3. Estebe, J. (2020). Un genevois crée la première typographie inclusive. Tribune de Genève, publié le 20 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : www.tdg.ch/un-genevois-cree-la-premiere-typo-inclusive-168461901432
  4. Bye Bye Binary. (2020). La typographie inclusive, un mouvement*! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine.
    publié le 23 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : http://genderfluid.space/2020_10_25_communique-presse-ByeByeBinary.pdf
    repris par Friction Magazine : https://friction-magazine.fr/la-typographie-inclusive-un-mouvement/
  5. Précédemment développé (Circlude & Bigingo, 2021).
    https://typo-inclusive.net/emergence-de-nouvelles-formes-typographiques-non-binaires-ligatures-et-glyphes-inclusives-les-alternatives-au-point-median-et-au-doublet-principalement-observes-dans-les-milieux-activistes-queer-e/
    L’idée romantique du Génie (Nochlin, 1971 ; Dumont & Sofio, 2007), détaché du reste de l’humanité reste un mythe qui n’est pas questionné, qui fait sensation dans les médias et qui continue d’être perpétué inlassablement. L’attrait de la découverte (l’aspect dénicheur de talent) et la glorification individuelle du génie sont deux caractéristiques de ce principe systémique que l’appareil médiatique reproduit en réalisant des distorsions historiques. L’annonce tonitruante de cette « découverte » attribuée à un seul homme démontre qu’il est très difficile d’attribuer un champ de recherche à une collective mouvante. En effet, nous pouvons observer une tendance à l’auto-invisibilisation des individus de la part des collectifs féministes/queer/trans-pédé-bi-gouines au profit de démarche collective (usage de la forme collective, collaborative, anonymat,…). Cette tendance vertueuse qui a pour but de mettre au centre le travail, la pratique, la démarche plutôt que les personnes se retournent contre elles dans l’espace médiatique encore trop peu enclin à ce type d’entité multiple et pour qui la personnification du débat reste un incontournable. Cette mésaventure aura tout de même permis à Bye Bye Binary de montrer qu’une recherche peut être menée collectivement, avec des méthodes de recherche féministes (Oakley, 1981) en mettant la question des origines — ici les expériences pronominales de Monique Wittig dans l’Opoponax (on), Les Guérillières (elles) et Le corps lesbien (j/e), ainsi que les travaux des pionnier·es contemporain·es (Roxanne Maillet, Clara Pacotte, Justin Bihan, Clara Sambot, etc.) — comme fondamentale pour comprendre tout mouvement intellectuel ou politique (Thébaut, 1998).
  6. Les relations de la collective aux institutions peuvent être définies comme « connections partielles » (dans le sens entendu par Haraway) : nous nous allions pour des besoins spécifiques dans des conditions spécifiques, sans pour autant embrasser l’ensemble des positions des partenaires. C’est en réalisant ces alliances partielles, en s’immisçant dans les institutions et en tirant à ell·eux les ressources nécessaires à leurs existences, que les dissidentes de l’écriture au masculin hégémonique deviennent acteuri·ces de leurs pratiques.
  7. https://typotheque.genderfluid.space/

 

Pour enfin faire rimer inclusivité et accessibilité. Recommandations pour les dessinateurices de caractères face à l’argument de l’illisibilité. 26/03/22 - 18:47 Sophie Vela Non classé Commentaires fermés sur Pour enfin faire rimer inclusivité et accessibilité. Recommandations pour les dessinateurices de caractères face à l’argument de l’illisibilité. Accessibilité inclusifve ?

« Il faut arrêter de croire que parce que les dys ont un système d’apprentissage différent, i·els sont incapables d’apprendre. »[1]

Préambule

Dans le cadre de son mémoire de DNSEP Design Graphique (à paraître), Sophie Vela choisit de s’intéresser au mouvement de la typographie inclusive. Confrontée à l’argument récurrent de la difficulté de lecture provoquée par les écritures inclusives pour les personnes dyslexiques et neuro-atypiques, elle s’est emparé de ce sujet afin de comprendre et mettre en lumière les conflits –réels ou éventuels– entre accessibilité et inclusivité.

Résumé

L’accessibilité de l’écriture et des typographies inclusives pour les personnes dyslexiques, neuro-atypiques et/ou malvoyantes peut être questionnée à différent niveaux : l’utilisation détournée de caractères, la création de nouvelles lettres, la densité des textes, l’incompatibilité avec les lecteurs d’écrans[2].

Dans le cas de la dyslexie, qui touche 8 à 10% des enfants, les problèmes rencontrés à la lecture peuvent prendre différentes formes : inversion de lettres, sensation de flottement du texte, etc. Pour pallier cela, plusieurs familles de caractères telles que Comic Sans MS[3] ou Dyslexia[4] ont vu le jour pour tenter de limiter ces effets. Jusqu’ici, aucune étude n’a prouvé leur efficacité[5].

Deux posters présentent la phrase suivante avec des perturbations typographiques. « La dyslexie est une condition héréditaire qui rend extrêmement difficile la lecture, l'écriture et l'épellation»..

Source: Molinaro, M. , Dyslexie (campagne), 2015.

Inclusivité, accessibilité, incompatibilité ?

Les critères de lisibilité utilisés pour les caractères dits « accessibles »[6] viennent se confronter aux expérimentations sur la typographie inclusive. En effet, les ligatures, le mélange de différentes lettres, la suppression de l’interlettrage ne sont qu’un ensemble de critères qui semblent compromettre davantage la compréhension des mots et posent ainsi des questions d’accessibilité.

S’il est vrai que ces questions d’inclusivité et d’accessibilité induisent différentes modifications de notre écriture, les mouvements queer et transféministes ne peuvent exister en excluant les personnes non-valides. Peut-on vraiment parler d’écriture ou de typographie inclusive, si celle-ci ne l’est pas de tous·tes ?

J’ai ainsi questionné Jonathan Fabreguettes[7] sur la possibilité de création de glyphes inclusifs avec son caractère Luciole, dessiné pour faciliter la lecture aux personnes malvoyantes. Si l’intégration de glyphes inclusifs « serait techniquement possible », ce n’est pas pour lui une priorité pour différentes raisons, dont le fait que cela la complexifierait trop. D’après lui, « une personne déficiente visuelle se débat suffisamment avec quelques dizaines de lettres pour ne pas lui imposer des ligatures complexes en plus» et cela n’est pas discutable.

Comparaison du mot « lisibilité » entre l'Arial et le Luciole.

Source: Fabreguettes, J. , Luciole, typographies.fr, 2019.

J’ai donc interrogé des personnes concernées par ces deux problématiques, n’étant ni cisgenres, ni neuro-typiques. Les six personnes avec lesquelles j’ai échangé privilégient l’inclusion de genre à celle de lecture. Romane me dit que «l’inclusion [lui] procure un sentiment d’euphorie, de légitimité, qui fait oublier les difficultés de lecture qui sont surmontables, même si [i·el] doit prendre plus de temps et d’énergie pour lire.» De son côté, Kerunos « valide complètement le fait de créer un nouveau jargon et des typos pour inclure tout le monde, voire d’utiliser des mots/pronoms neutres pour tout le monde. Dans un monde utopiste ça aiderait à la fin du sexisme, du genre et du patriarcat. Dans un monde moins utopiste, ça aurait le mérite de faire en sorte que les [personnes non-binaires] se sentent valides et existent au yeux du monde », tout en précisant que cela « dépendrait de la complexité de la typo, si un ou deux [caractères] permettent de changer tous les mots pour les [rendre neutres] je suis à 100 % pour. Au-delà de dix, ça commence à être compliqué. ». Si un ou deux caractères semblent peu pour s’adapter à chaque situation, la collective Bye Bye Binary a pu faire émerger la nécessité de travailler le dessin de 56 nouveaux glyphes, afin de couvrir l’ensemble des suffixes genrés dans la langue française[8].

Ces témoignages viennent se confirmer par la lettre ouverte rédigée par le Réseau d’Études Handi-Féministes, « contre la récupération du handicap par les personnes anti écriture inclusive »[9]. Cette lettre défend de nouvelles formes d’écriture et critique l’instrumentalisation des personnes dys et handies au profit d’une idéologie sexiste:

« Chercher à rendre la langue française accessible aux personnes dys est un travail qui, d’une part, mérite tout notre intérêt et, d’autre part, ne doit pas servir à évincer d’autres réformes linguistiques, telles que l’écriture inclusive, permettant de lutter contre d’autres discriminations, en l’occurrence le sexisme. Le REHF soutient donc la création de solutions ou alternatives non discriminantes. »

« Si l’utilisation de l’écriture inclusive et sa lecture représentent effectivement, pour les personnes dys et multi-dys, des enjeux et des efforts supplémentaires, c’est précisément parce que la langue française est sexiste. Et c’est pour pallier ces manquements qu’elle nous oblige à faire cette gymnastique, afin de faire exister, par les mots, celle·ux qu’elle oublie. »

Le REHF pointe également du doigt que si la lecture de l’écriture inclusive est complexe, c’est parce que les logiciels de lecture d’écran ne sont pas adaptés aux caractères utilisés, et demande l’évolution de ce système plutôt que l’exclusion par le genre : « nous préférons condamner le sexisme qui préside à la programmation des logiciels, plutôt que l’antisexisme qui motive l’usage de l’écriture inclusive. ».

Paroles de concerné·es

Le refus de l’inclusion de tous·tes dans l’écriture semble donc ne pas être fondé sur des bases solides, mais sur du validisme[10], voire de l’eugénisme. En effet, cela laisse sous-entendre que si l’écriture inclusive ne doit pas se développer, c’est à cause des personnes ayant des différences neurologiques. Ce débat va bien au-delà d’une binarité genre/handicap et s’inscrit dans des réflexions plus profondes sur la stigmatisation des personnes handicapées et la récupération de leurs luttes. Si les caractères dessinés pour les personnes dyslexiques ne sont pas efficaces, que les personnes qui dénoncent les difficultés de lecture ne s’appuient pas sur le ressenti des personnes concernées, il semble qu’il s’agisse plutôt d’une instrumentalisation de ces personnes pour nourrir le discours anti-écriture-inclusive.

Parmi les personnes que j’ai interrogées, j’ai échangé avec Max, étudiant·e en graphisme et dys, sur des solutions pour une typographie qui serait à la fois inclusive du genre et des difficultés de lecture. Max m’explique que pour i·el, si les ligatures (en fin de phrases) peuvent être compliquées à lire, c’est parce qu’elles cassent le rythme de lecture et apportent une difficulté de compréhension dans l’enchaînement de caractères liés et non liés, ce qui rend la lecture moins fluide. Dans une typographie où toutes les lettres seraient liées, la lecture lui serait donc plus fluide et les glyphes inclusifs seraient lus dans la continuité des mots.

La solution serait donc de créer une forme d’écriture sans ligatures, allant plus loin que la fusion des lettres en faisant des changements grammaticaux. C’est notamment tout le travail d’Alpheratz[11], autaire de Grammaire du Français Inclusif où al propose des alternatives à chaque terme genré. « Un auteur » ou « une autrice » devient par exemple « an autaire ». Les recherches d’Alpheratz apportent un genre neutre en remplacement du masculin générique, par l’utilisation du pronom « al ». D’après sa grammaire, « il fait beau » devient « al fait beau ». D’autres recherches ont été avancées sur ce sujet, proposant différentes alternatives telles que l’Acadam de Bye Bye Binary, basé sur le pronom « ol » cette fois et où autrice/auteur devient « auteul ». Ces expérimentations grammaticales nous invitent à repenser la façon dont notre langue est construite, et comment nous pouvons la faire vivre et évoluer.

Afin de recueillir plus d’avis de personnes concernées, j’ai entrepris de mener une étude plus poussée sur le sujet[12]. Si les résultats ne sont pas encore définitifs, les réponses des 100 premier·es participant·es vont majoritairement dans le même sens: si l’inclusif peut être compliqué à lire, il n’empêche pas la compréhension des extraits de textes proposés à l’étude (ensemble de phrases courtes comprenant au maximum trois caractères inclusifs). Lors d’un entretien avec un homme cisgenre dyslexique et dysorthographique, celui-ci me confirme que, comme tout apprentissage, cela est surtout une question d’habitude et que l’inclusion de tous·tes est un sujet qui mérite quelques efforts.

Photographie d'un des carnets utilisés par l'étude: une typographie inclusive y est annotée par la personne interrogée.

Source: Vela, S., photographie d’archive de l’étude sur la lisibilité des écritures inclusives, 2022.

Au-delà des difficultés rencontrées avec le point médian ou les typographies inclusives, c’est tout un système qui est à repenser. D’après Louna, peu de choses dans le graphisme sont pensées pour les personnes dys. Je lui parle notamment d’un livre que je trouve très bien composé, avec très peu de marges. Illisible pour elle. L’absence de marges ne permet pas au regard de prendre ses repères. Les espaces sont ses guides dans sa lecture, qui n’est pas linéaire mais plutôt « en diagonale » ; ils l’aident à savoir où elle en est dans le bloc de texte. De même, des textes trop denses, des typos avec trop d’empattements, des mots coupés dans leur hauteur sont autant d’obstacles à une lecture fluide pour elle.

Les difficultés causées par les mises en page sont diverses, et dépendent de chaque personne, chacune ayant ses particularités, ses difficultés propres. Il n’existe pas une seule forme de neuro-atypie, ainsi il peut difficilement n’exister qu’une seule solution. Une illustratrice et designeuse espagnole a d’ailleurs modifié un caractère pour le rendre fidèle à sa propre dyslexie : on y voit des lettres s’entrechoquer, à l’endroit et à l’envers, et ce sans altérer la lecture pour une personne valide. Dessinée d’après la Adobe Font Sofia Pro d’Olivier Gourvat, le lettrage créé par Rocío Egío et Pranav Bhardwaj ne prétend pas être plus lisible pour les personnes dyslexiques, mais seulement représenter une expérience personnelle de ce trouble de la lecture. Ce caractère dansant fait indéniablement écho au Not Comic Sans dessiné par Louis Garrido, et nous permet une fois de plus de faire le lien entre ces deux problématiques.

Alphabet composé avec la Dyslexic Font, les lettres sont colorées (rouge, vert, jaune ou bleu) et semblent bouger - le D, le F et le S, par exemple, sont à l'envers.

Source: Egío, R. ; Bhardwaj, P. , This is a dyslexic font, 2021.

La langue française est également pleine de complexités. Selon Louna, le principe même de genre n’est pas évident et complique la compréhension à la lecture, tout en demandant plus de réflexion lors de l’écriture, par ses nombreuses variations (pronoms, accords, terminaisons, qui s’ajoutent aux règles de conjugaison, grammaire et orthographe…). Une écriture neutre ne semble donc pas ici un obstacle mais bien une clef, comme en anglais notamment, dont l’apprentissage est réputé plus aisé que le français.

Le queer est-il lisible?

Quant à la typographie inclusive, à ses glyphes hybrides et à ses caractères expérimentaux, la critique principale qui est faite est le manque de lisibilité, les formes trop étranges et n’évoquant rien de ce que nous avons l’habitude de lire. Lorsque j’ai rencontré H. Alix Mourrier[13], notre discussion autour de la lisibilité des caractères non-binaires nous a mené·es à une réflexion : les personnes queer ne sont-elles pas, elles-mêmes, « illisibles » ? Parce que nous ne rentrons pas dans les codes, nous sommes souvent sujett·es à des regards interrogatifs, des remarques sur ce que nous sommes, des incompréhensions, voire des conflits. H. me fait remarquer que dysphorie et dyslexie ont la même base étymologique : dys, du grec δυσ- , qui exprime l’idée d’une difficulté. Difficulté à entrer dans les cases, difficulté à être compris·e, difficulté à comprendre le monde qui nous entoure. De cette difficulté émane une violence; celle d’être laissé·e à la marge. Mais nous pouvons choisir de n’évoluer que dans ces marges, dans ces endroits de résistances. Il y a quelque chose de politique dans l’intention de créer des formes qui ne peuvent être comprises de tous·tes, à notre image.

Lorsque l’on est en difficulté, c’est souvent à nous de nous adapter. L’enjeu est peut-être ici de créer un lieu où les difficultés seront rencontrées par celle·ux qui n’en ont pas l’habitude, et ainsi créer un rapport de force.

Si le design graphique est fait de normes, c’est aux graphistes et typographes de se les réapproprier, non plus seulement pour expérimenter autour des normes existantes, mais bien pour révolutionner (au sens propre) la typographie, bouleverser les schémas, écrire de nouveaux récits.

Conclusion

Comment trouver une réponse unilatérale à une problématique si large que celle de l’inclusion ? La typographie est à elle seule une façon de normer l’écriture, d’uniformiser les caractères. Cette uniformisation, à l’image de la société, est vouée à évoluer avec le temps, à s’adapter, à se transformer.

Les mots d’H. à ce propos lors de notre échange sont éclairants : ce qu’il restera de ces expérimentations et de ces différentes formes d’écriture, c’est l’usage que nous en ferons. Si nous avons été capables, au XXe siècle, de lire des typographies complexes telles que celles énumérées dans Fracktur Mon Amour[14], livre répertoriant plus de 333 typographies gothiques, puis d’apprendre à décrypter et comprendre d’autres types de caractères, alors l’écriture inclusive, dans la forme qui s’inscrira dans nos usages, devrait nous être accessible.

Images du livre "Fraktur Mon Amour", ouvert. Majoritairement blanc, violet et noir, on y voit deux alphabets en caractères gothiques.

Source: Schalansky, J. , Fraktur Mon Amour, Princeton, 2006.

 

Exemple d'utilisation de la fonte Unormative Fraktur, notamment sur des terminaisons non-genrées (xse, tes, ue...).

Source: Salabert, L. ; Conant, L. , Unormative Fraktur, 2018.

Ces nouvelles formes de typographies marginales, à l’image de celle·ux qui les créent, ne sont qu’un outil supplémentaire pour créer des façons de parler du monde qui leur ressemble. « Queer » était à l’origine une insulte, un mot signifiant « étrange », « bizarre », « tordu », pour les personnes qui ne rentraient pas dans les normes. De même que nous nous sommes réapproprié ce terme, réapproprions-nous le design en le dotant de formes considérées étranges et tordues, à l’image de nos identités et de nos systèmes de pensée.

Nous avons vu combien les arguments contre l’écriture et la typographie inclusives ne sont basés que sur des normes hétéro-patriarcales et conservatrices, qui refusent toute évolution pouvant nuire à la domination masculine, dans un monde validiste.

De la même façon, celle·ux qui se préoccupent des difficultés de lecture des personnes en situation de handicap face à l’écriture inclusive ne semblent pas s’inquiéter de la dé-conjugalisation de l’allocation aux Adultes Handicapés (AAH)[15] ou de la réduction des normes PMR[16].

S’il existe une solution pour rendre inclusive et accessible la typographie, c’est de la laisser entre les mains des personnes exclues et qui n’ont pas accès aux codes de lecture normatifs, pour qu’elles nous racontent un monde où elles ne seront désormais plus laissées à la marge.

Bibliographie

Alpheratz. (2018). Grammaire du français inclusif. Paris, Vent Solars Linguistique.

Circlude, C. et Bigingo, C. (2021). De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non-binaires (ligatures et glyphes inclusives), les alternatives au point médian et au doublet observés dans les milieux activistes, queer et trans-pédé-bi-gouines., Révoution typographique post-binaire. https://typo-inclusive.net/emergence-de-nouvelles-formes-typographiques-non-binaires-ligatures-et-glyphes-inclusives-les-alternatives-au-point-median-et-au-doublet-principalement-observes-dans-les-milieux-activistes-queer-e/#post-1-_9mq3j8uzjxth

Baezo-Yates, R. et Rello, L. (2013). Good Fonts for Dyslexia. Universitat Pompeu Fabra Barcelona, Spain. https://www.superarladislexia.org/pdf/2013-Luz%20Rello-Dyswebxia%20demo-assets.pdf

Fédération Française des Dys. (2020). Ecriture inclusive et dyslexie. https://www.ffdys.com/actualites/ecriture-inclusive-et-dyslexie-lavis-de-la-ffdys.htm

Ortho&co. (2020). Non, les polices ‘dys’ n’aident pas les dyslexiques !. http://www.ortho-n-co.fr/2020/02/recherche-non-les-polices-dys-naident-pas-les-dyslexiques/, consulté en mars 2021

The Reading Well. Dyslexia fonts and style guide. https://www.dyslexia-reading-well.com/dyslexia-font.html

Unger, G. (2015). Pendant la lecture. Paris: éditions B42.

  1. Extrait d’un échange avec Louna, avec qui j’ai été en contact tout au long de ma recherche. Elle est dyspraxique, TDAH, queer, et diplômée de graphisme.
  2. Un lecteur d’écran (également appelé revue d’écran) est un logiciel d’assistance technique destiné aux personnes « empêchées de lire » (aveugles, fortement malvoyantes, dyslexiques, dyspraxiques…) : il retranscrit par synthèse vocale et/ou sur un afficheur braille ce qui est affiché sur l’écran d’un ordinateur tant en termes de contenu que de structure et permet d’interagir avec le système d’exploitation et les logiciels applications. (Source : Wikipedia)
  3. Caractère typographique dessiné par Vincent Connare en 1995, dans lequel chaque lettre est unique.
  4. Caractère dessiné par le typographe néerlandais Christian Boer, lui-même dyslexique, en 2008.
  5. Une seule étude sérieuse sur le sujet est connue, et ne prouve pas l’efficacité de ces caractères.
  6. Caractères dessinés dans le but d’aider des personnes ayant des difficultés de lecture.
  7. Typographe français spécialiste du braille, créateur de la fonderie typographies.fr et des fontes Luciole et Confetti Braille destinées aux personnes malvoyantes.
  8. Recherche menée lors de la mise en place du QUNI, Queer Unicode Initiative par la collective.
    https://typotheque.genderfluid.space/quni.html
  9. Lettre ouverte publiée en ligne sur le site de l’association efigies (association des jeunes chercheur·euses en études féministes, de genre et sexualités), décembre 2020.
  10. Discrimination à l’encontre des personnes qui ne sont pas valides (qui n’ont aucun handicap)
  11. Alpheratz enseigne la linguistique, la sémiotique et la communication à Sorbonne Université. Al est spécialiste du français inclusif et du genre neutre
  12. Étude en cours dans le cadre d’une résidence à l’Hôtel Pasteur, pour apporter une réponse concrète à celle, théorique, que je développe dans l’ensemble de mon mémoire. Si vous souhaitez participer, contactez etude-lisible-inclusive@protonmail.com. Cette étude a été construite d’après les premières recherches de Camille Circlude et Christella Bigingo pour une étude de la lisibilité des écritures inclusives pour les personnes dys
  13. Graphiste et artiste membre de la collective Bye Bye Binary.
  14. Fraktur Mon Amour est un ouvrage de Judith Schalansky, paru aux éditions Princeton en 2006.
  15. Proposition de loi PPL19-319, déposée fin 2019 et toujours en discussion.
  16. Amendement de la Loi Elan, 2018, visant à limiter à seulement 10% (contre 100% auparavant) le taux de logements adaptés aux Personnes à Mobilité Réduite.
De nouvelles formes typographiques pour s’affranchir de la binarité de genre par l’écriture. Étude de cas. 05/02/22 - 21:41 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur De nouvelles formes typographiques pour s’affranchir de la binarité de genre par l’écriture. Étude de cas. Iel est dégenrée

Préambule

Dans le cadre de son mémoire de DNSEP Design Graphique (à paraître), Sophie Vela choisit de s’intéresser à l’écriture inclusive, au mouvement de la typographie inclusive et à leur lisibilité pour les personnes ayant des difficultés de lecture. Au cœur de cette recherche, quelques caractères typographiques sont présentés et repris dans cet article.

Résumé

Parmi les nombreux caractères développés ces dernières années, trois d’entre eux ont particulièrement retenu mon attention, chacun pour une raison particulière. Ce sont sur ces trois fontes que je vais m’attarder, comme une entrée dans ma recherche, la contextualisant. Eugénie Bidaut, Clara Sambot et Louis Garrido, les dessinateur·ices de ces trois caractères, sont des membres actif·ves de la collective Bye Bye Binary[1], et tous·tes jeunes diplômé·es d’écoles d’art et design graphique.

1. Adelphe (2021-2022)

L’Adelphe est une fonte complète, aux multiples formes et déclinaisons, pouvant s’adapter aux besoins de tous·tes. La volonté de sa créatrice, Eugénie Bidaut, était de proposer un caractère qui puisse être utilisé dans des corps de textes importants, voire pour la composition de livres, le tout avec un gris typographique homogène. Parce que si les propositions typographiques sont nombreuses, rares sont celles qui sont adaptées à la rédaction de textes longs.

Le caractère se décline en trois graisses de garaldes (auxquelles seront prochainement ajoutées gras et italiques) : Germinal, Floréal et Fructidor. Ces trois noms, issus du calendrier révolutionnaire[2], font référence à une éclosion (ces noms correspondent respectivement aux périodes de développement de la sève, d’épanouissement des fleurs, et des fruits mûrs). Ce choix de terminologies, tout comme le nom du caractère, tiré du grec, est un pied de nez aux réactions conservatrices contre l’écriture inclusive. Le terme épicène « adelphe » est également beaucoup utilisé dans les milieux queers et féministes pour désigner sa famille de cœur et pour éviter d’utiliser les mots genrés « sœur » et/ou « frère ». Par ailleurs, un remplacement que Léa Murat n’hésite pas à rendre automatique dans sa fonte Subversifve[3].

Les trois formes de l’Adelphe sont prévues pour des usages distincts.

Le Germinal se compose d’un point médian et de ligatures inclusives, pour une utilisation « classique » de l’écriture inclusive avec point médian. Les caractères ont été travaillés avec précision pour un gris typographique optimal, avec notamment un point médian d’une hauteur différente selon qu’il est placé dans un mot en bas-de-casses ou en capitales, mais aussi des approches adaptées à un texte composé de nombreuses ligatures.

Le Floréal va plus loin, proposant une nouvelle forme de ponctuation, qui n’interrompt plus les mots, ni ne sépare le féminin du masculin. Ici, les deux formes de genre sont condensées, et des signes diacritiques souscrits[4] y sont ajoutés, placés sous les lettres pour signifier le début de la terminaison masculine et le début de la féminine (pour insister sur les deux marques de genre, et non seulement sur le féminin).

La Fructidor est la graisse la moins binaire du caractère, utilisant un nouveau glyphe neutre pouvant se substituer à toute terminaison. Cette sorte de E renversé et dessiné en un trait est une nouvelle référence aux origines de la calligraphie et de l’imprimerie. Inspirée par les planches calligraphiques de Claude Mediavilla[5] et par l’épigraphie des premiers caractères d’imprimerie comme des inscriptions lapidaires gallo-romaines, Eugénie Bidaut fait à nouveau référence à l’histoire de l’écriture pour s’inscrire dans une recherche typographique contemporaine.

Eugénie Bidaut, Adelphe, 2021. Extraits de Orlando, Virginia Woolf, 1928.

Source: Eugénie Bidaut, Adelphe, 2021. Extraits de Orlando, Virginia Woolf, 1928.

La particularité de l’Adelphe est la façon dont i·el est programmé·e. Membre du QUNI[6], sa dessinatrice a ainsi créé des fonctions de substitution, soit le remplacement automatique d’un caractère par un autre. Par exemple, étudiant..e devient automatiquement étudiant•e, sans la complexité du raccourci clavier à 4 touches. Le point médian est ensuite substitué aux glyphes inclusifs.

Cette proposition typographique est pertinente pour la diversité de ses graisses et sa facilité d’utilisation. On peut simplement l’imaginer en usage dans divers documents, permettant à chacun·e d’utiliser la déclinaison qui lui semble la plus appropriée.

2.Cirrus Cumulus (2020)

exemple de composition typographique pour la contraction des mots « elle » et « eux » avec le Cirrus Cumulus de Clara Sambot

Source: exemple de composition typographique pour la contraction des mots « elle » et « eux » avec le Cirrus Cumulus de Clara Sambot

Le Cirrus Cumulus, dessiné par Clara Sambot, a pour référence les schémas scientifiques et la volonté de pouvoir dessiner des schémas avec une fonte, de façon modulaire. Ce caractère fonctionne donc avec plusieurs « modules » de ligatures, qui viennent remplacer le point médian ou tout autre signe utilisé pour séparer les terminaisons féminines et masculines. Cette fonte m’a interpellée pour les possibilités qu’elle offre non pas de séparer les lettres mais bien de les relier, de créer du lien entre féminin et masculin. Cela crée une fluidité, un enchaînement sans rupture entre les différents signes typographiques. Cela permet aussi plus de libertés, comme celle de choisir de mettre une distance entre le féminin et le masculin, distance plus ou moins grande selon le nombre de signes modulaires dactylographiés.

L’autre particularité de ce caractère est qu’il n’est composé d’aucune courbe, contrairement aux dessins typographiques plus habituels. Cherchant à briser les angles, en simplifiant le trait au maximum, il prend sa base sur des pixels et, en informatique, un cercle est un ensemble de pixels carrés, et non de courbes. Cette construction renvoie aux caractères utilisés sur les premiers moniteurs et composés en bitmap à partir de matrices composées de peu de points, tel que le VG5000 de Phillips (1986). Cet ordinateur a d’ailleurs inspiré à Justin Bihan et Chloé Bernhardt, pour leur projet de diplôme, la police du même nom, cette fois en lui ajoutant des courbes, et un échantillon de glyphes inclusifs[7].

En plus des nombreux caractères de liaison, la fonte se compose de quelques glyphes inclusifs (10) tels que i·e ou é·e. Libre donc à chacun·e de s’en emparer de la façon de son choix.

Enfin, le Cirrus Cumulus m’interpelle pour ses formes géométriques qui font écho aux normographes, ces objets utilisés pour l’apprentissage de l’écriture. On peut facilement se projeter dans des outils permettant aux enfants en apprentissage de moduler les mots avec les différentes ligatures, et ainsi de s’approprier cette forme d’écriture, et de comprendre l’enjeu de lier les marques de genre dans un même mot. L’objet normographe est d’ailleurs au cœur du travail d’Eloïsa Perez[8] sur l’apprentissage de l’écriture aux enfants, et des « NONO-normographes » ont été créés par la collective Bye Bye Binary pour d’autres caractères lors d’un workshop à la Maison Populaire de Montreuil en juillet 2021.

Sources : à gauche, Eloïsa Perez, Du geste à l’idée: formes de l’écriture à l’école primaire, 2013-2015, ANRT ; à droite, Eugénie Bidaut, NONO-normographe pour l’Adelphe, 2021 

Sources : à gauche, Eloïsa Perez, Du geste à l’idée: formes de l’écriture à l’école primaire, 2013-2015, ANRT ;
à droite, Eugénie Bidaut, NONO-normographe pour l’Adelphe, 2021

À travers le Cirrus Cumulus, de même que pour l’Adelphe, la dessinatrice se réapproprie un langage qu’on imagine réservé à une élite, celui de la science et des mathématiques, tout en créant des caractères porteurs d’éléments pouvant simplifier leur apprentissage.

 

3.Not Comic Sans (2021-2022)

La dernière fonte qui a retenue mon attention se réapproprie cette fois un caractère plus « populaire », souvent moqué dans le milieu du graphisme, ayant pourtant un rôle important : la Comic Sans MS. Dessiné par le typographe Vincent Connare en 1995, ce caractère est aujourd’hui souvent considéré comme un running gag, une fonte que personne n’utilise de façon sérieuse car trop fantaisiste, une blague privée entre graphistes. Louis Garrido a fait le pari de rendre sérieuse la Comic, en dessinant le caractère Not Comic. Le dessin original avait été conçu sans prendre en compte les règles typographiques habituelles, à la marge des attentes techniques. Son dessin manuel est fait de courbes asymétriques, de boucles de tailles différentes, de montantes et descendantes inégales. Avec la Not Comic, le graphiste décide de redresser les courbes, de rééquilibrer les lignes.

Ce projet, initialement porté par Harrisson[9] puis repris par Olivier Bertrand[10], a été confié à Louis Garrido, qui a accepté de s’en emparer à l’unique condition qu’il puisse y ajouter des glyphes inclusifs.

Si le caractère tend vers quelque chose de plus rigide que son corps de base, les glyphes inclusifs, eux, sont plus « détendus ». Ils se bousculent de façon festive, en contraste avec les autres signes typographiques, mais aussi avec le nom de cette nouvelle fonte peu comique. Dessinées sur un logiciel libre, ces ligatures se libèrent des normes que l’on tente d’ajouter à un caractère justement hors-norme. Elles se rapprochent, sont sujettes à la gravité, suggèrent des mouvements.

Source: exemple de composition typographique avec le Not Comic Sans.

Source: exemple de composition typographique avec le Not Comic Sans.

S’il m’a semblé essentiel de m’attarder sur ce projet, c’est parce qu’il apporte presque une réponse concrète à la question centrale de ma recherche : ajouter des glyphes inclusifs à un caractère destiné à faciliter la lecture, créé en premier lieu pour les enfants et aujourd’hui majoritairement utilisé par les instituteur·ices pour l’apprentissage de la lecture.

Cette fonte brise les normes de ces dessins censés aider à lire, réduire les difficultés, s’adapter aux personnes dys, et fait le lien entre caractères inclusifs et caractères accessibles, que j’étudierai plus précisément dans un prochain article.

Conclusion

Ces caractères typographiques ne sont qu’un échantillon des différentes propositions associées au mouvement de la Typographie Inclusive[11]. Si la langue française est une langue vivante, pourquoi son écriture n’en serait-elle pas de même? Pour permettre à chacun·e de se sentir concerné·e lors de ses lectures, il est primordial de s’affranchir des normes construites jusqu’ici, d’en créer de nouvelles à l’image de nos identités fluides.

Les trois caractères présentés ici font partie d’un inventaire plus vaste des pratiques typographiques post-binaires à paraître sur ce site dans le courant du premier trimestre 2022. Cet inventaire permettra de rendre compte de l’ampleur du mouvement et des recherches typographiques en cours.
Le Cirrus Cumulus est en téléchargement libre sur la fonderie Velvetyne. L’Adelphe et le Not Comic seront bientôt disponible sur la typothèque de Bye Bye Binary, actuellement en cours de construction.

  1. Bye Bye Binary est une collective franco-belge créée en 2018, qui propose d’explorer de nouvelles formes graphiques et typographiques adaptées à la langue française, notamment la création de glyphes prenant pour point de départ, terrain d’expérimentation et sujet de recherche le langage et l’écriture inclusive
  2. Calendrier créé pendant la Révolution Française et utilisé de 1762 à 1806 ainsi que pendant la Commune de Paris. Son but était de s’éloigner du calendrier grégorien lié au christianisme. Egalement appelé calendrier Républicain
  3. Grâce à un système de ligatures, écrire frère.soeur se transforme automatiquement en « adèlphe », père.mère en « parent » , copain.copine en « copaine », etc.
  4. Signes généralement ajoutés aux lettres de l’alphabet pour en modifier la prononciation (accents), ici placés sous les lettres.
  5. Calligraphe et dessinateur de caractères français né en 1947.
  6. Le QUNI (Queer Unicode Initiative) est un groupe travaillant à intégrer les nouveaux caractères (non-binaires) au système nicode, avec «l’ambition de coordiner collectivement le travail des dessinateur·ices de fontes qui intègrent des glyphes inclusifs pour faciliter leur production, accroître leur accessibilité, notamment dans les logiciels de traitement de texte grand public.» (d’après le lexique présent sur le site de Bye Bye Binary)
  7. VG5000, Justin Bihan et Chloé Bernhardt, 2018.
  8. Eloïsa Perez est une designer graphique et typographe dont le travail est axé autour des questions d’apprentissage, de transmission des savoirs, et du rôle du graphisme dans celles-ci.
  9. Graphiste français né en 1972, typographe et enseignant en communication visuelle à l’Ecole de Recherche Graphique de Bruxelles
  10. Graphiste français co-fondateur de la maison d’édition Surface Utiles (2017) et de la revue typographique La Perruque
  11. Voir le communiqué de la collective Bye Bye Binary – « La typographie inclusive, un mouvement féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine » – https://genderfluid.space/2020_10_25_communique-presse-ByeByeBinary.pdf
La typographie comme technologie du post-binarisme politique. 01/06/21 - 09:06 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur La typographie comme technologie du post-binarisme politique.

« La politique cyborg lutte pour le langage, elle lutte contre la communication parfaite, contre ce code unique qui traduit parfaitement chaque signification, dogme central du phallogocentrisme. »
(Haraway, Manifeste Cyborg)

 

Préambule

Actif·ve dans le champ de la typographie au sein de la collective Bye Bye Binary[1], ce texte s’ancre dans ma pratique typographique de graphiste; ainsi que dans celle de transmission au sein de l’erg (École de Recherche Graphique, Bruxelles). En affirmant mon positionnement (Harding 1987, Haraway, 1988), je situe ce savoir favorisant ainsi un retour réflexif sur le terrain de la typographie. En effet, les épistémologies féministes tendent à rendre visible les connexions entre le·a chercheur·se et le terrain d’enquête plutôt que de tendre à une prétendue neutralité du discours.

Résumé

Dans la lignée du lesbianisme politique de Rich et Wittig de la seconde vague du féminisme des années 60-70, ce texte de problématisation a pour objectif de proposer le concept du non-binarisme politique ou encore du post-binarisme politique comme actualisation contemporaine, offrant une porte de sortie au régime de la différence sexuelle, prenant comme ressort la typographie en tant que technologie émancipatrice.

1. Du lesbianisme au post-binarisme politique

Alors que Wittig prononce cette phrase « les lesbiennes ne sont pas des femmes » (Wittig, 1980), elle permet à toute personne s’identifiant comme lesbienne de sortir des normes de l’hétéropatriarcat et déconstruire le mythe de « la-femme ». Les lesbiennes ne sont pas des femmes, car elles ne répondent pas aux injonctions hétéronormées de la société (« le contrat hétérosexuel »), elles refusent l’hétérosexualité, faisant de ce refus une stratégie de résistance au patriarcat. Par là-même, Wittig autorise toute personne à s’identifier comme lesbienne, peu importe ses pratiques sexuelles. Nous pourrions presque reprendre à Descartes, non sans manquer d’humour, un « Je suis lesbienne, donc je suis ». Le lesbianisme est donc vu par Wittig comme une porte de sortie à ce que Butler appellera plus tard la « matrice hétérosexuelle » (Butler, 2003, p.91). La pensée radicale et révolutionnaire de Wittig reste cependant calquée sur le régime binaire de la différence sexuelle. Quarante ans plus tard, Preciado ajoute « l’homosexualité [ici par extension, le lesbianisme] et l’hétérosexualité n’existent pas en dehors d’une taxonomie binaire et hiérarchique qui a pour objet de préserver la domination du pater familias sur la reproduction de la vie » (Preciado, 2019, p.27).

2. Non-binarisme / post-binarisme

Alors que Rubin rêvait en 1984 d’une société androgyne et sans genre[2](Rubin, 1984, p.76), un sondage réalisé en 2019 pour  l’Obs[3] indique que 14 % des 18-44 ans se considèrent comme « non-binaires » revendiquant une identité de genre qui ne soit ni homme ni femme. En 2020, le sondage IFOP réalisé pour Marianne[4] révèle quant à lui que 22% des 18-30 ans sondés ne se reconnaissent pas dans les deux catégories de genre « homme/femme ». Ces premiers chiffres, en progression sensible, offrent enfin un espace de représentation pour les personnes invisibilisées auparavant dans les données. Les statistiques n’offrant, jusqu’ici, que peu de possibilités de sortir du système binaire de la différence sexuelle.

Si l’on met en relation ces chiffres avec le pourcentage estimé de personnes intersexes (1,7%[5]) ou encore avec la difficulté de réunir des données chiffrées[6] pour les personnes trans*, ces dernières ne pouvant pas seulement être comptabilisées par un parcours de réassignation sexuelle (en effet il serait réducteur et discriminant de définir une personne trans* par son seul souhait de parcours médical, lieu de récolte de chiffres statistiques) ; nous pouvons supposer que derrière ces 22% de sondés des 18-30 ans sont regroupées des personnes qui se définissent peut-être comme intersexe, mais aussi non-binaire, a-genre, genderfluid, genderfucker, …

Pour une partie d’entre elles, ce qui est mon cas, il s’agit également d’affirmer une identité qui permet de contester le système binaire dans lequel nous avons été assigné, et ce même si son expression de genre ne correspond pas aux exigences du passing (le genre par lequel nous sommes perçus par les autres). En cela, il s’agit d’un positionnement politique. En me définissant comme personne non-binaire, tout en étant socialisée comme « femme » (pour l’instant), j’affirme ma contestation à mon assignation binaire de naissance. Je proclame ainsi mon droit à l’auto définition. Il s’agit d’une position politique d’énonciation de soi.

Tout comme les personnes genderfluid ou genderfucker, les personnes non-binaires offrent de nouvelles narrations qui vont au-delà de la binarité de genre, qu’on pourrait aussi appeler post-binaires dans le sens où elles désignent l’inconnu situé au-delà de cette binarité. Grâce à la grande diversité des identités queer, le post-binarisme politique dépasse le concept de « mêmeté ». Collin déconstruit le terme « sororité », ce « collectif qui l’emporterait sur l’affirmation singulière dans une perspective formellement égalitaire » (Collin, 1983). Cette tendance à gommer les différences pour ne conserver que la différence de genre, nous pouvons la retrouver chez les féministes de la deuxième vague des années 70, en particulier au MLF. Dissidentes, les lesbiennes radicales, dont nous° sommes les héritièr·es, ouvrent une brèche pour penser en dehors du cadre binaire.

Alors que le non-binarisme ne peut se définir que par le précept même de binarité, le post-binarisme indique qu’un dépassement de ce concept est possible grâce au préfixe post (du latin, « après »). Le post-binarisme politique ouvre la voie à une nouvelle épistémologie à inventer en dehors de tout système binaire. Il s’agit d’un état de transit vers un ailleurs que seule la science-fiction est à même de nous proposer pour le moment. Haraway nous offre par exemple l’histoire des Camille, enfant·es non-binaires du Compost dans Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene.

Source : Texte : <strong>Haraway</strong>, D. / Graphisme : <strong>Circlude</strong>, C. / Fonte : <strong>Bye Bye Binary</strong>, Baskervvol, 2018-2021.

Source : Texte : Haraway, D. / Graphisme : Circlude, C. / Fonte : Bye Bye Binary, Baskervvol, 2018-2021.

3. Révolution typographique

La question de savoir si des actions collectives concertées peuvent traduire des résistances face à l’ordre binaire et au genre comme rapports sociaux de sexe se pose (Espineira, 2015). Dans un élan d’enthousiasme, j’aurais tendance à répondre par la positive à cette question, et, dans le cas qui nous occupe, à proposer la typographie comme outil de résistance, comme technologie émancipatrice, face à la masculinisation du français qui prédomine aujourd’hui et ce depuis le XVIIe siècle (Viennot, 2014) prônant le masculin comme neutre et universel. Ce masculin neutre, Wittig l’appelle le « général » (Wittig, 1980).

« Il faut donc détruire le genre totalement. Cette entreprise a tous les moyens de s’accomplir à travers l’exercice même du langage ». (Wittig, 1980)

Alors que Haraway parle de « l’écriture comme technologie de libération » (Haraway, 1984/2007), Butler nous encourage à « résister aux stratégies épistémologiques qui reconduisent des logiques coloniales  » (Butler, 2003, p.92). En effet, l’histoire de la typographie, nous enseigne comment la question de l’écriture a toujours été intimement liée à l’exercice d’un pouvoir central, imposée aux subordonnés. L’imposition de la minuscule Caroline au temps de Charlemagne, le Romain du roi commissionné par Louis XIV ou encore l’usage de la Fraktur (gothique allemande) au début du Troisième Reich comptent parmi les exemples les plus marquants.

La langue française est particulièrement genrée, reposant sur des accords au masculin ou au féminin. La marque du genre dans le langage a la même fonction d’assignation binaire que la déclaration de sexe à l’état civil (Wittig, 1980) et sa présence sur nos cartes d’identité. L’écriture inclusive, faisant usage du doublet ou du point médian, affirme la binarité de genre de la langue française. L’usage typographique du point médian, des tirets, des parenthèses, des slashs ne permet pas de dépasser cette binarité. La typographie dite inclusive, non-binaire ou post-binaire, grâce au dessin de caractères, cherche davantage à rassembler les formes par des ligatures, des éléments de liaisons ou de symbioses pour permettre à des identités non-binaires, genderfluid, genderfucker d’être incluses dans cet espace de représentations qu’est la langue ou tout du moins de faire co-exister des formes masculines et féminines sans pour autant les séparer par des marqueurs typographiques de séparation, par exemple en faisant usage de formes binaires contractées, amalgamées, en indice ou exposant.

Source : Sambot, C. , DINdong, 2020.

En travaillant à redessiner des glyphes, les dessinateur·ices de caractères ne font rien d’autre que « d’analyser dans son contexte la manière dont opère toute opposition binaire, renversant et déplaçant sa construction hiérarchique au lieu de l’accepter comme réelle, comme allant de soi ou comme étant dans la nature des choses » (Scott, 1988 p. 139).

D’autres initiatives, qui ne seront pas développées ici, existent pour permettre de dépasser la binarité de la langue française, comme la création d’une grammaire neutre (Alpheratz, 2018), le recours à toute la gamme des pronoms personnels (Minh-Ha, 1986, p.27) ou encore des expérimentations langagière en littérature de science-fiction (Pacotte, 2017), e.a.

Source : Le Ferec M., Payen M., Josafronde, 2020.

 

Si les outils du maître ne peuvent détruire la maison du maître (Lorde, 2017), les nouvelles formes typographiques, dites « inclusives »[7], non-binaires, post-binaires, apparues entre 2017 et 2021 permettent à minima d’ouvrir les imaginaires et réinventer les outils typographiques, dans le contexte du débat autour de l’écriture inclusive, en proposant des alternatives non-binaires au point médian et au doublet. Depuis la récente médiatisation des travaux de Tristan Bartolini[8] et de la collective Bye Bye Binary[9], la typographie apparaît comme un lieu où se joue une révolution qui s’immisce dans les usages de l’écriture par contamination ou pollinisation.

Source : Bartolini T., L’Inclusifve, 2020.

4. Habiter l’hybridation des formes.

Pour travailler le caractère inclusif de sa proposition typographique, chaque dessinateur·ice de caractères expérimente des pistes graphiques tantôt inspirées des usages (@ en espagnol pour une utilisation combinée du o et a, le retournement du (ә) en italien), des milieux militants (l’usage du E en capitale pour appuyer la présence de la forme féminisée — les employéEs ; l’usage du X, graphie régulièrement utilisée dans les milieux transféministes visant à inclure toutes les femmes — womxn, touxtes) ou encore du Moyen-Âge (lettrines imbriquées, abréviations, ligatures). Ces différentes expérimentations confèrent à la typographie dite « inclusive » son caractère insaisissable, viral, contaminant, multiple. Nous pourrions reprendre les mots de Collin qui propose une « égalité dans la différence qui permet aux différences dans l’égalité de subsister » (Collin, 2002).

Source : Laurent, N., Discours sur l’Histoire universelle révisée, composition typographique, 2018.

Les expérimentations typographiques ne proposent pas un design de solution applicable immédiatement, mais bien la possibilité de penser de nouveaux imaginaires post-binaires, des narrations spéculatives (fabulations en anglais, Haraway, 2017), ou encore des « fictions vivantes qui permettent de résister à la norme » (Preciado, 2019, p.97).

« Sur base d’une réalité technique (…) nous construisons une fiction, une narration, un imaginaire collectif qui font lien entre des pratiques et des expériences. Sur ces liens, cette narration, s’accrochent, s’attachent des activistes, des artistes, des théoricien-nes. Mais, si l’imaginaire, l’histoire à raconter, la fiction en place est la raison-même de la présence de ces groupes et individus, la réalisation du projet technique doit se faire, doit être aussi un but tout aussi réel, sous peine de perdre les différents-es acteurs et actrices de l’histoire. Paradoxalement la fiction collective est une garantie de réalisation. » (Rassel, 2007)

Source : Lamouroux, Q. , Homoneta, 2020 [erg].

De nombreux·ses acteur·ices de la typographie proposent aujourd’hui une variété fort réjouissante de propositions diverses et variées qu’il convient d’accueillir. En nous incitant à « habiter le trouble », Haraway nous permet de faire le choix de l’hybridation (ici, des formes typographiques) pour sortir de la binarité. En ne faisant pas de choix, mais en utilisant tantôt une forme, tantôt une autre et en multipliant les usages, nous faisons ce choix du non-choix pour permettre à toust·es d’exister. Seul le temps qui passe, et non une décision arbitraire imposée par un pouvoir central, conservera l’une ou l’autre piste en tentant d’en faire une solution momentanée, jusqu’à la prochaine révolution typographique.

Ces usages hybrides permettent également de répondre à la critique faite à l’écriture inclusive (épicène ou doublet) de dépolitiser le langage en appliquant des formes inclusives de façon systématique, normalisée, reproduisant elle-même une prétention à l’universalité et l’invisibilisation des oppressions et dominations (ex : colonisateurs et colonisatrices). En effet, le risque d’un retour à un sujet-maître est présent en gommant les différences ontologiquement ; alors que le risque de l’oubli des structures de domination est présent en gommant les différences politiquement (Collin, 2001).

Dans Homo Inc.orporated : Le triangle et la licorne qui pète, Bourcier propose dans son introduction une « petite grammaire du français queer et transféministe » (Bourcier, 2017) qui autorise la cohabitation de plusieurs systèmes d’écriture en fonction de la position d’énonciation politique , afin de ne pas invisibiliser les marques de l’hégémonie de la différence sexuelles. En effet, en fonction du contexte et du lieu d’énonciation, des choix d’écriture peuvent être opérés réaffirmant que la langue est bien politique.

La forme du E en capitale imbriquée dans les suffixes en bas-de-casse, par exemple dans le VG5000 ou le JonquinabcRT, montre qu’il est aussi possible de visibiliser la forme féminine dans ces expériences typographiques. Le dessin de caractères permet également d’affirmer des choix politiques, par exemple le choix des positions en indice ou exposant des formes masculines ou féminines.

Source : Ajout de glyphes Guesse, E., Harding, M. et Maréchal, A., JonquinabcRT de Sarah Kremer et officeabc, 2018.

5. Prolifération, contamination, irrigation souterraine, pollinisation

« Reste la stratégie du copyleft: capter les savoirs (y compris les plus pointus en matière de sciences biomédicales contemporaines), devenir les experts alternatifs de nos propres corps, généraliser la contrebande chimique, technologique, ouvrir des espaces de production clandestins, créer des identités en utilisation libre, élaborer, partager d’autres modalités de matérialisation, d’incorporation et lutter pour elles, ensemble. » (Dorlin, 2011)

Cette citation de Dorlin lue sous le prisme des expérimentations typographiques, en tant que « savoir pointu », résonne particulièrement car la question de la licence de diffusion des caractères est au cœur des préoccupations des dessinateur·ices de caractères — expert·es et chirurgienn·es opérant la langue du binarisme de genre.

« Je veux être opéré du binarisme de genre. » (Preciado, 2018)

En effet les polices de caractères comportant des glyphes inclusifs, disponible en licence libre (VG5000, Cirrus Cumulus, Baskervvol) ou sous licence propriétaire (JonquinabcRT) sont diffusées au fil du temps par des graphistes et/ou éditeur·ices engagé·es qui ont font utilisation dans des objets graphiques (livre, site, fanzine, etc.). Ces usages rendus visibles en suscitent d’autres et se multiplient.

La diffusion en licence libre[10] offre la possibilité à d’autres dessinateur·ices de prendre la suite du travail entamé par l’ajout de glyphes à une même police ou par des reprises (revivals).

Source : Bernhardt, C. et Bihan, J., VG5000, 2018 – LS-VG5000, 2021 / Le Garrec, E., VG5001, 2019.

Le VG5000 publié initialement sur la plateforme Velvetyne Type Foundry (2018) avec seulement 8 caractères inclusifs au départ existe aujourd’hui sous 3 formes différentes, avec des positionnements politiques différents. La première version (Chloé Bernhardt et Justin Bihan, 2018) comprenait des E capitales à l’intérieur des suffixes en bas-de-casses, affirmant la forme féminine à la manière militante. Pour la seconde version, le choix est fait d’abandonner la combinaison de lettres supérieures et inférieures qui se justifie par la volonté de ne pas inférioriser la forme du féminin sous celle du masculin et plutôt de les agglomérer avec des ligatures (Enzo Le Garrec, 2019). La troisième version (Justin Bihan, 2021) inclut cette fois un large set de glyphes inclusifs (36 bas-de-casses, 36 capitales) reprenant le principe de lettres supérieures et inférieures (indices et exposants). Cette forme graphique dédoublée, convoque l’usage du doublet (Viennot, 2014), en incluant le féminin dans une forme binaire qui ne donne pas d’espace de représentation possible à d’autres genres.

« Chaque fois que tu as le courage de faire ce qu’il te convient de faire, ta liberté me contamine. Chaque fois que j’ai le courage de dire ce que j’ai à dire, ma liberté te contamine. » (Despentes, 2020)

La diffusion des polices en licence libre est caractéristique de la contamination qui s’opère et des possibilités de création collective. La licence libre permet aussi une diffusion, un accès au plus grand nombre en dehors de la logique propriétaire. Sous peu, cette accessibilité permettra également, à des utilisateur·ices de traitement de texte d’utiliser ces caractères (qui sont à l’heure actuelle contenus à l’usage des graphistes et professionnels, tant l’accès aux glyphes peut s’avérer fastidieux).

Les usages typographiques se répandent par contamination, dans le sens entendu par Collin, (à la suite des travaux de Foucault, Derrida et Deleuze, utilisant le terme prolifération) comme « une modalité de la révolution qui ne se définit pas en éradication radicale du donné à laquelle se substituerait un autre donné, mais comme le transit par une irrigation souterraine, des éclats et des avancées ponctuelles qui sont toujours à repenser et à rectifier : un dispositif de contamination plus que d’affrontement ». (Collin, 2010).

La coexistence et la multiplicité des formes typographiques en circulation entre en résonance avec le « principe de multiplicité » propre au concept de rhizome de la French Theory (Deleuze & Guattari, 1980) dont la formation d’un système global rhizomique n’est en aucun cas dépendant d’une unité générale régi par un élément dominant. La multiplicité permet une prolifération autonome et décentralisée, en évolution permanente et de façon horizontale, sans hiérarchie pyramidale.

Alors que l’historiographie épistémologique nous fait passer par les termes rhizome, prolifération, contamination, irrigation souterraine, Laurence Rassel (École de Recherche Graphique) introduit le terme de pollinisation (Rassel, 2007). Cyberféministe et fervente utilisatrice des licences et logiciels libres, elle les considère comme un moyen de reconfiguration / redistribution des rôles et des pratiques. En effet, une fois la matrice des fonctionnements sociaux mise à jour (tout comme on rentre dans le code d’un logiciel pour en comprendre le fonctionnement), la possibilité de se situer par rapport à cette matrice est offerte à chaque personne. Il n’est plus possible de nier les systèmes de dominations alors dévoilés.

Rassel passe du terme contamination — précisant « contamination involontaire mais aussi contamination volontaire dans des termes de transmission, de généalogie, inscrits dans une histoire politique et culturelle » — au terme pollinisation.

« (…) Nous cultivons aussi ce champ, y apportons outils, graines de savoir, oui mais toujours utilisable par tous-tes du fait des licences libres sur les contenus (les fruits) et les outils, et puis tout comme la pollinisation, les graines se dispersent et peut-être germent ailleurs, par le web, la toile, parfois nous pouvons suivre leurs traces, parfois pas ». (Rassel, 2007)

Cette dissémination des nouvelles formes typographiques relèvent d’une urgence et d’une nécessité existentielles, dans la mesure où elles offrent de rendre visible des existences post-binaires dans l’espace partagé de la langue, alors même que l’Académie française se crispe et que le ministre de l’éducation nationale en France interdit officiellement par circulaire l’utilisation du point médian[11]. Que la contamination ait lieu par le sol, par irrigation souterraine, ou par les airs, par pollinisation, elle s’opère. Insaisissable. Inarrêtable.

Adopter le post-binarisme politique c’est voir plus loin, au-delà des micro-débats médiatiques, c’est concevoir un espace-temps qui ne serait plus défini par la binarité, un au-delà de la différence sexuelle présente dans tous les recoins de nos vies.

 

 

 

Bibliographie

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Collin, F. (2010). Différence/indifférence des sexes. Dans : Annie Bidet-Mordrel éd., Les rapports sociaux de sexe (pp. 152-167). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.colle.2010.01.0152″

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Haraway, D. (2007). Manifeste cyborg: science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle in Manifeste cyborg et autres essais: sciences – fictions – féminismes, p. 29-92. Paris: Exils éditeurs.

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Viennot, E. (2014). Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin! Petite histoire des résistances de la langue française. Donnemarie-Dontilly, France: Editions iXe.

Wittig, M. (1980). La pensée straight. Questions Féministes, (7), 45-53.

 

Notes

  1. La collective Bye Bye Binary, formée en novembre 2018 lors d’un workshop conjoint des ateliers de typographie de l’École de Recherche Graphique (erg) et La Cambre, propose d’explorer de nouvelles formes graphiques et typographiques adaptées à la langue française, notamment la création de glyphes (lettres, ligatures, points médians, éléments de liaison ou de symbiose) prenant pour point de départ, terrain d’expérimentation et sujet de recherche le langage et l’écriture inclusive.
  2. « Le rêve qui me semble le plus attachant est celui d’une société androgyne et sans genre (mais pas sans sexe) où l’anatomie sexuelle n’aurait rien à voir avec qui l’on est, ce que l’on fait, ni avec qui on fait l’amour. »
  3. Ranc, A. (2019). Ni homme ni femme : 14% des 18-44 ans se disent « non-binaires ». L’Obs, publié le 27 mars 2019, dernièrement consulté le 18 mars 2021 : www.nouvelobs.com/societe/20190327.OBS2526/ni-homme-ni-femme-14-des-18-44-ans-se-disent-non-binaires.html
  4. IFOP. (2020). Fractures sociétales : enquête auprès des 18-30 ans. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/11/117735-R%C3%A9sulats-Marianne.pdf
  5. Blackless M, Charuvastra A, Derryck A, Fausto-Sterling A, Lauzanne K, Lee E. (2000). How sexually dimorphic are we? Review and synthesis. Am J Human Biol. 12:151-166.
  6. Information Transgenre, Chiffres. Dernièrement consulté le 29 mai 2021 : https://infotransgenre.be/f/presse/chiffres/
  7. Une des critiques faite à la typographie inclusive est qu’elle ne soit pas inclusive des personnes ayant des troubles de la lecture (dyslexie, dyspraxie, neuroa, etc.), certaines personnes lui reprochant son caractère peu accessible. Cet argument ne repose sur aucune étude de lisibilité réalisée à ce jour. (Dath, Bigingo, 2021)
  8. Durant le mois d’octobre 2020, les travaux sur la typographie inclusive de Tristan Bartolini, étudiant à la HEAD (Haute École d’Art et de Design de Genève) ont fait grand écho auprès de la presse, à la suite de la remise du Prix Art Humanité 2020 de La Croix-Rouge.
  9. La collective Bye Bye Binary a diffusé un communiqué de presse, « La typographie inclusive, un mouvement*! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine » , mentionnant que la typographie inclusive était une large mobilisation et pas le fait d’un génie isolé.
  10. SIL Open Font License, Version 1.1
  11. Blanquer, J-M. (2021). Règles de féminisation dans les actes administratifs, du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et les pratiques d’enseignement, le 5 mai 2021. En ligne : https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo18/MENB2114203C.htm

 

Inventaire des pratiques typographiques inclusives, non-binaires, post-binaires 2017-2021 (en cours) 01/03/21 - 23:02 camillecirclude Non classé Commentaires fermés sur Inventaire des pratiques typographiques inclusives, non-binaires, post-binaires 2017-2021 (en cours)

Les récentes distorsions historiques que se sont permis les médias[1] ont démontré l’importance de mener un travail historiographie concernant la typographie dite inclusive. La collective Bye Bye Binary n’a pas manqué de publier un communiqué de presse[2] faisant état de différents travaux antérieurs appuyant le fait qu’il s’agissait bien là d’un mouvement plus large. Ce qui laisse à penser qu’il existe sans doute d’autres expériences typographiques peu ou méconnues réalisées dans cette mouvance.

Fonte : DINdong, Clara Sambot

Cette étude a pour but de recenser les expérimentations typographiques de toute ampleur ayant été réalisées, diffusées, publiées (de façon très confidentielle ou plus largement) entre janvier 2017 et décembre 2021. Les propositions typographiques peuvent être incomplètes, de la création d’un seul glyphe pour les besoins d’un visuel (affiche, flyer, fanzine,…) à un travail plus complet et exhaustif (une fonte complète, un ouvrage complet utilisant des glyphes inclusives ou non-binaires,…).

Bien qu’il soit impossible —et d’ailleurs pas spécialement souhaitable— de figer l’histoire de la typographie non-binaire de par son caractère insaisissable, viral, contaminant, cette étude vise à dresser un premier état des lieux le plus exhaustif possible, après 5 années d’expérimentations, d’une pratique qui ne va cesser de s’étendre. Il s’agit d’une tentative de visualiser le réseau tentaculaire que nous formons, lié·es les un·es aux autres. L’inventaire se concentre sur la période actuelle qui a suivi les débats autour du point médian car c’est à cette période que se sont cristallisées les premières expérimentations typographiques contemporaines.

Jusqu’à présent, une quarantaine de dessinateur·ices sont plus ou moins identifié·es grâce à leur médiatisation, leur participation aux expositions collectives ou grâce à des productions issues de workshops, c’est sans compter les projets typographiques qui en sont nés par la suite et dont nous n’avons pas (encore) connaissance. En diffusant cette pratique via des ateliers, workshops, conférences, colloques, nous pouvons penser que de nombreux travaux sont dans les tiroirs, et qu’ils ont été peu ou moins visibilisés.

Les résultats de cet inventaire donneront lieu :

  • — à la publication d’un article faisant un premier état des lieux historiographiques (à paraître dans la revue LSD – Le Signe Documents #2, Cahiers du centre national du graphisme, Les Presses du Réel à l’automne 2021).
  • — à une publication la plus exhaustive possible de l’inventaire dans le cadre d’un mémoire-recherche qui sera publié en 2022. (Avis aux éditeur·ices intéressé·es !)

Pour toutes questions / remarques / commentaires sur cet appel : caroline.dath@erg.be

L’appel était ouvert du 8 mars au 8 mai 2021, les résultats sont en cours d’analyse.


  1. Durant le mois d’octobre 2020, les travaux sur la typographie inclusive de Tristan Bartolini, étudiant à la HEAD (Haute École d’Art et de Design de Genève) ont fait grand écho auprès de la presse, à la suite de la remise du Prix Art Humanité 2020 de La Croix-Rouge. Tout d’abord relayé par la Tribune de Genève , l’article présentant Tristan Bartolini comme étant le « nouveau Gutenberg » et son travail comme « la première typographie inclusive » a ensuite été repris, presque tel quel, à de nombreuses reprises dans la presse (Les Inrocks, Le Figaro, Konbini, France Culture, Culture Prime, …) sans même faire l’objet de vérifications journalistiques sur cette prétendue première découverte en design graphique.
  2. Bye Bye Binary. (2020). La typographie inclusive, un mouvement*! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine. publié le 23 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : http://genderfluid.space/2020_10_25_communique-presse-ByeByeBinary.pdf
De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non-binaires (ligatures et glyphes inclusives), les alternatives au point médian et au doublet observés dans les milieux activistes, queer et trans-pédé-bi-gouines. 16/01/21 - 15:40 Martin Non classé Commentaires fermés sur De la nécessité d’étudier la lisibilité des nouvelles formes typographiques non-binaires (ligatures et glyphes inclusives), les alternatives au point médian et au doublet observés dans les milieux activistes, queer et trans-pédé-bi-gouines.

Préambule

Note concernant l’utilisation de l’écriture inclusive dans ce texte :

La police de caractères Baskervvol BBB est utilisée car il s’agit d’une police augmentée de glyphes non-binaires, en guise d’alternative au point médian, développée par la collective Bye Bye Binary , qui offre de matérialiser les existences queer, trans, genderfluid, non-binaires dans l’espace commun, collectif et partagé de la langue. La Baskervvol est aussi utilisée pour toutes les occurrences où il n’est pas possible de présumer du genre de la personne.

Note concernant le vocabulaire :

Nous distinguerons tout au long de l’article, l’écriture épicène (choix de mot épicène, usage du doublet), de l’écriture inclusive (usage du point médian — · ) de la typographie inclusive ou non-binaire (usage de nouveaux caractères typographiques, principalement sous la forme de nouvelles ligatures — i·e , l·e, f·e, x·se, r·e, f·v, …).

1. Un mouvement collectif

Source : Maillet R., Pacotte C., 
Amils Agitéls, Cheapest University, 2017.

Durant le mois d’octobre 2020, les travaux sur la typographie inclusive de Tristan Bartolini, étudiant à la HEAD (Haute École d’Art et de

Design de Genève) ont fait grand écho auprès de la presse, à la suite de la remise du Prix Art Humanité 2020 de La Croix-Rouge. Tout d’abord relayé par la Tribune de Genève[1], l’article présentant Tristan Bartolini comme étant le « nouveau Gutenberg » et son travail comme « la première typographie inclusive » a ensuite été repris, presque tel quel, à de nombreuses reprises dans la presse (Les Inrocks, Le Figaro, Konbini, France Culture, Culture Prime, …) sans même faire l’objet de vérifications journalistiques sur cette prétendue première découverte en design graphique.

En effet, des caractères typographiques inclusifs et non-binaires, il en existe déjà depuis plusieurs années. Dès octobre 2017, la Cheapest University publie « Amils Agitéls » une collecte de textes LGBTQI+ engagés réunis par Roxanne Maillet et Clara Pacotte avec des expérimentations typographiques de Marie-Mam Sai Bellier, Guillaume Sbalchiero, Marine Stephen et Claire Barrault. En 2018, une série d’expérimentations est rendue publique à l’occasion des Puces Typo grâce à l’exposition de posters collective « On aime pas ça parce qu’on devient deux » (Campus Fonderie de l’Image, Paris, mai 2018). Dans la foulée, la collective Bye Bye Binary se met en place et organise des workshops de typographie (novembre 2018, avril 2019).

Source : Bernhardt C., Bihan J.,
On aime pas ça parce qu’on devient deux, Puces Typo, 2018. (VG5000)

Par ailleurs, certains caractères sont hébergés sur la fonderie Velvetyne, au sein des polices VG5000 de Justin Bihan (novembre 2018), ou Cirrus Cumulus de Clara Sambot (mai 2020). D’autres fontes existent sans être distribuées, comme, par exemple, la JonquinabcRT créée par Sarah Kremer et augmentée de glyphes inclusifs dessinés par Emilie Guesse, Maisie Harding et Alain Maréchal. Ces usages typographiques se disséminent au fil du temps à la lecture d’objets graphiques qui les utilisent et de designers engagé·es qui les proposent aux commanditaires de design graphique.

Cette traînée de poudre médiatique principalement et exclusivement tournée autour du travail de Tristan Bartolini a totalement occulté et invisibilisé de façon systémique les travaux de nombreux·ses chercheur·euses en typographie, entre autres de la collective Bye Bye Binary, qui n’a pas tardé à diffuser un communiqué de presse[2], « La typographie inclusive, un mouvement*! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine » , mentionnant que la typographie inclusive était une large mobilisation et pas le fait d’un génie isolé. L’idée romantique du Génie (Nochlin, 1971 ; Dumont & Sofio, 2007), détaché du reste de l’humanité reste un mythe qui n’est pas questionné, qui fait sensation dans les médias et qui continue d’être perpétuée inlassablement. L’attrait de la découverte (l’aspect dénicheur de talent) et la glorification individuelle du génie sont deux caractéristiques de ce principe systémique que l’appareil médiatique reproduit en réalisant des distorsions historiques.

Source : Bartolini T., L’Inclusifve, 2020.

Faisant suite au communiqué de la collective Bye Bye Binary et l’intervention de Tristan Bartolini lui-même auprès de la presse pour rétablir l’historiographie et la chronologie de ces travaux, plusieurs journalistes ont corrigé leurs articles erronés. Le titre de l’article de La Tribune de Genève est passé de « Un Genevois crée la première typo inclusive » à « Un jeune Genevois crée une typo inclusive », sans pour autant faire mention des travaux antérieurs.

L’annonce tonitruante de cette « découverte » attribuée à un seul homme démontre qu’il est très difficile d’attribuer un champ de recherche à une collective mouvante. En effet, nous pouvons observer une tendance à l’auto-invisibilisation des individus de la part des collectifs féministes/queer/trans-pédé-bi-gouines au profit de démarche collective (usage de la forme collective, collaborative, anonymat,…). Cette tendance vertueuse qui a pour but de mettre au centre le travail, la pratique, la démarche plutôt que les personnes se retournent contre elles dans l’espace médiatique encore trop peu enclin à ce type d’entité multiple et pour qui la personnification du débat reste un incontournable. Cette mésaventure aura tout de même permis à Bye Bye Binary de montrer qu’une recherche peut être menée collectivement, avec des méthodes de recherche féministes (Oakley, 1981) en mettant la question des origines — ici les expériences pronominales de Monique Wittig dans Les Guérillières (elles) et l’Opoponax (on), ainsi que les travaux des pionnier·es contemporain·es (Roxanne Maillet, Clara Pacotte, Justin Bihan, Clara Sambot, etc.) — comme fondamentale pour comprendre tout mouvement intellectuel ou politique (Thébaut, 1998).

Cette médiatisation du sujet a permis de voir émerger des recherches graphiques et typographiques non-binaires jusqu’à présent restées confidentielles et s’échangeant sous le manteau uniquement parmi les chercheus engagées dans des recherches en typographie, formant un réseau dans une partie de la francophonie (Belgique, France, Suisse, Canada) permettant de rendre visible dans l’espace du langage des existantes queer, trans, genderfluid, non-binaires. Jusque-là, travaillant à l’abri des regards, en toute discrétion, leurs travaux se sont vus soudainement exposés à la critique publique. Nous pouvons observer, principalement sur les réseaux sociaux, des retours très polarisés : d’une part, un énorme engouement des personnes pratiquant déjà l’écriture inclusive, des milieux féministes, activistes s’enthousiasment des alternatives au point médian ; d’autre part, des critiques principalement émises sur le caractère illisible des polices de caractères proposées, tout comme cela fût le cas pour l’écriture inclusive[3]. Nous noterons également les nombreuses menaces de la part d’une frange des internautes (sur le site du Figaro, e.a.) d’interrompre leurs dons à la Croix Rouge avançant que le financement de telles recherches ne peut être l’objet de l’activité de l’organisation, ne faisant pas le distinguo entre les activités de terrain et la remise d’un prix[4].

Parmi les critiques fréquentes, nous relèverons l’argument du caractère illisible ou complexe pour les personnes présentant des troubles de la lecture. Il s’agit là d’un argument parfois avancé par des personnes non concernées afin de clore un débat en convoquant une problématique qui n’est pas la leur et de laquelle ils ne peuvent répondre, comme l’indique le Réseau d’Études HandiFéministes (REHF) ayant rédigé un billet[5] pour dénoncer la récupération du handicap par les personnes qui s’opposent à l’écriture inclusive. Ce billet demande aux personnes non concernées de cesser de brandir l’argument de la cécité, de la dyslexie ou de la dyspraxie pour justifier leur position, et aux personnes concernées mais réactionnaires d’arrêter de parler au nom de toute la communauté handi. Le billet met plutôt en avant le sexisme qui opère dans la programmation des logiciels de synthèse vocale, puisqu’un travail de programmation de l’écriture inclusive pour ces machines permettrait de résoudre une partie du problème. Le texte fait également état des solutions existantes[6] pour remédier aux accros rencontrés par les logiciels de synthèse vocale aidant à la lecture.

C’est dans ce contexte, qu’il paraît important de mettre en place une étude de lisibilité, ainsi qu’une analyse approfondie des difficultés d’apprentissage de la lecture de ces nouvelles expérimentations pour apporter des éléments de réponses aux critiques faites quant à l’illisibilité qui entraîneraient également des difficultés de compréhension. Essentielle serait une étude analytique d’échantillons de phrases proposés à des enfants en apprentissage de la lecture (a priori vierge de toute idéologie sur la question) et des adultes présentant des troubles de la lecture. Les résultats seraient à comparer à un groupe témoin de lecteur·ices expert·es, c’est-à-dire ne présentant aucun trouble de la lecture.

2. Un genre de typographie

La question du genre a été mise au-devant de la scène publique, médiatique et politique en 2011 avec l’introduction de la notion de genre dans des manuels de sciences de la vie et de la Terre en France (Détrez, 2015). Alors que la notion de genre apparaît dès l’entre-deux guerres (De Ganck, 2020) dans les études médicales et psychiatriques des personnes intersexes et trans, il faudra attendre 1960 pour que le concept soit théorisé notamment par le psychologue John Money, pour qui et comme le postulait Simone de Beauvoir[7], le genre est un construit social. John Money (Détrez, 2015) identifie « identité de genre » et « rôle de genre ». Le premier est défini comme étant la catégorisation de soi-même comme homme, femme, ou ambivalent en fonction de ce que le sujet ressent et de ce qu’il perçoit de son comportement. En d’autres termes, il s’agit de la façon dont l’individu s’identifie : on peut se définir comme homme ou femme indépendamment de son sexe biologique (Détrez, 2015). Concernant le second, il s’agit des comportements publics d’une personne comme homme ou femme, qui dépendent de la culture. Cette acception peut être mise en relation avec la définition de Joan Scott (Degrave & Zanone, 2020) selon qui le genre est « un élément constitutif des rapports sociaux fondé sur des différences perçues entre les sexes et le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir ». Le genre représente un lieu de rapport de pouvoir lors de la répartition des rôles sexués.

Ensuite, le sexe renverrait aux différences biologiques entre mâles et femelles, les organes génitaux étant principalement l’exemple choisi lorsqu’il s’agit de distinguer une fille d’un garçon, notamment à la naissance. Cependant, les nombreux critères de détermination du « sexe (anatomie, hormones, gonades, ADN) ne permettent pas de donner une définition sûre du sexe et « nombreux sont les cas où ces indicateurs ne vont pas coïncider, notamment quand le caryotype (XX/XY) ne correspond pas au phénotype (organes génitaux féminins et masculins » (Détrez, 2015, p.33). Dès lors, qu’advient-il des personnes intersexes, qui présentent des organes génitaux différents de ceux attendus d’une fille ou d’un garçon ? Anne Fausto Sterling démontre « qu’il n’existerait pas biologiquement deux sexes mais un continuum, dont la réduction à la binarité est une opération sociale » (Détrez, 2015, p.36). Pourtant, dès la fin des années 1940, des médecins vont débuter une politique de réassignation précoce au travers d‘opérations chirurgicales chez les nourrissons à la sexualité indéterminée. Les travaux de Löwy (2003) mettent en exergue les contestations dans les années 1990 des mouvements de personnes intersexes de cette pratique « restée largement acceptée par les médecins et les parents » (p. 86). Paul B. Preciado (2003) va plus loin : « Avec les nouvelles technologies médicales et juridiques de Money, les enfants intersexes, opérés à la naissance ou traités pendant la puberté, deviennent des minorités construites comme anormales au bénéfice de la régulation normative du corps de la masse straight. Cette multiplicité des anormaux est la puissance que l’Empire Sexuel s’efforce de réguler, de contrôler, de normaliser » (p. 19).

Alors qu’un sondage[8] réalisé en 2019 pour « l’Obs », nous indique que 14 % des 18-44 ans se considèrent comme « non-binaires », qu’est-il donc possible de faire dans l’espace de la langue pour qu’une personne queer / trans / genderfluid / intersexe / non-binaire qui ne se retrouve pas représentée ni dans le terme « amoureux », ni dans celui d’« amoureuse » puisse avoir une existence palpable ? Nous pouvons répondre à l’appel de Preciado[9] et opérer la langue du binarisme de genre. Les graphistes et typographes se positionnent alors en chirurgienn·es dans leur espace d’expertise qu’est la création de nouveaux glyphes et proposent ainsi des formes d’« amoureux·se ». Ces recherches graphiques sur la typographie inclusive relèvent d’une urgence et d’une nécessité existentielles, dans la mesure où elles leur offrent de rendre visible leur existence dans l’espace partagé d’une langue à l’heure où certain·es introduisent des propositions de loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par toute personne morale publique ou privée bénéficiant d’une subvention publique[10].

3. État de l’art

Depuis quelques années, des initiatives ont vu le jour dont l’objectif est de renoncer aux formulations au masculin (démasculiniser la langue) et dès lors de pratiquer l’écriture inclusive dont entre autres l’usage des doublets complets (les employés et les employées), doublets abrégés à l’aide de parenthèses (les employé(e)s), barres obliques (les employé/e/s), traits d’union (les employé-e-s), points bas (les employé.es.), points médians (les employé•e•s ou employé•es).

L’écriture inclusive propose des formulations plus représentatives que celles où le masculin a été imposé comme forme neutre, générique, s’inscrivant dans une histoire du langage patriarcale et exclusive que nous héritons de la masculinisation du français opérée au 17e siècle (Viennot, 2014), combiné à une langue française très genrée. Cette dernière s’est « masculinisée » à la suite de la création de l’Académie française en 1635. Avant cela, les termes comme philosophesse, autrice, poétesse étaient utilisés couramment. L’Académie, exclusivement composée d’hommes, va purement et simplement faire disparaître le féminin de certains mots sur base de choix politiques et d’arguments sexistes : « on ne dit pas professeuse, graveuse, compositrice […] par la raison que ces mots ont été inventés que pour les hommes qui exercent ces professions » défend avec ferveur Bescherelle (Hains-Lucht, 2020). Le genre masculin a alors été désigné comme la forme « neutre » (masculin générique) et la féminisation des noms, pourtant bien présente dès le Moyen-Âge, fut exclue (Hains-Lucht, 2020).

Malgré les réticences de la conservatrice Académie française, plusieurs pays et régions francophones, dont le Québec, pionnier, ont sorti des décrets sur la féminisation des titres et métiers (Hains-Lucht, 2020). En France, en novembre 2015, le Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe, édité par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes est publié avec des recommandations pour l’écriture inclusive utilisant alors le point bas. Plusieurs guides voient alors le jour avec des variantes graphiques, dont celui de l’agence de communication Mots-Clés en 2016 utilisant, quant à lui, le point médian. Plus récemment, diverses initiatives voient le jour avec des spécificités propres à certains secteurs, par exemple, le Guide Pratique du Langage Inclusif en École d’Art – Club Mæd[11] par le collectif Cybersistas à l’Ensba Lyon.

En mars 2017, le premier manuel scolaire[12] est publié par Hatier à destination d’élèves du CE2 utilisant l’écriture inclusive, qui depuis ne cesse de déchaîner les passions[13]. Au centre de la polémique, de nouvelles graphies (principalement l’usage du point médian et bas) engendrent une mise en garde de la part de l’Académie française qui les désignent illisibles et indique que la langue française « se trouve désormais en péril mortel [et] la multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité » (Académie française, 2017). Cette déclaration de principe ne semble reposer sur aucune étude scientifique ou tout du moins n’en fait pas mention. Le caractère illisible de ces propositions reste donc un champ de recherche à explorer.

En Belgique, cette écriture est employée dans certains secteurs, notamment dans la presse, les universités, le secteur privé, mais absente des textes officiels. Et pour cause, le Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles (2017)  recommande l’emploi mesuré de ces formules, et privilégie nettement les formes dédoublées. Et d’ajouter que le « Conseil ne saurait recommander l’usage ni de parenthèses (pour leur valeur symbolique), ni du point médian (qui cumule plusieurs inconvénients) » (p. 2). Par conséquent, le masculin est employé et privilégié pour faciliter la lecture et la compréhension des textes.

Bien qu’un usage de différentes graphies continue d’exister à l’heure actuelle, l’utilisation du point médian s’impose de plus en plus par les personnes utilisant l’écriture inclusive, car elle permet un meilleur gris typographique que le point bas qui engendrent davantage de lézardes dans les textes. Il est cependant important de signaler que l’usage du point médian n’est pas simple d’accès sur PC[14] et n’est pas encore reconnu par les logiciels de synthèse vocale permettant une assistance à la lecture pour les personnes aveugles ou ayant des troubles de lecture, ce qui est le cas du trait d’union.

Source : Bye Bye Binary, Acadam gramaire non binaire développée lors du workshop #1 Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive, 2018.

Source : Bye Bye Binary, Acadam gramaire non binaire développée lors du workshop #1 Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive, 2018.

Les différentes initiatives mentionnées ci-avant ne sont par ailleurs pas inclusives des personnes non-binaires / trans / genderfluid car elles ne le sont que du genre féminin (Ashley, 2019). En effet, l’usage du doublet (largement préconisé par Eliane Viennot) ou du point médian binarise le langage et ne donne pas d’espace de représentation possible à d’autres genres. Dans les milieux activistes et militants, se développe un langage non-binaire, des graphies particulières, notons le x des milieux transféministes visant à inclure toutes femmes, cis et trans (par exemple : womxn) ensuite utilisé en lieu et place du point médian (par exemple : tout·es > touxtes). Ces initiatives sont parfois reprises dans le milieu académique, par exemple Sam Bourcier (e.a.)[15], qui utilise l‘usage de l‘astérisque pour tronquer la forme genrée du nom commun utilisé. Lu à voix haute, le troncage des mots ne permet pas la distinction avec la forme masculine (par exemple : heureuse, heureux, heureu*). Les propositions d’Alpheratz (par exemple : autrice, auteur, autaire) ou encore l’Acadam de Bye Bye Binary (par exemple : autrice, auteur, auteul) propose des formes de suffixes qui permettent à l’oral de marquer un genre neutre.

Les travaux d’Alpheratz précédemment cité·e, romancier·e et professeur·e de linguistique, de sémiotique et communication à Sorbonne Université, opère sur le terrain de la linguistique et de la grammaire en introduisant le pronom « al ». En 2015, al publie, Requiem, un roman écrit en utilisant une grammaire non-binaire. Al s’agit d’une première en littérature française. En 2018, al développe un lexique du genre neutre dans la Grammaire du français inclusif parue aux Éditions Vent Solars.

Les débats autour de l’écriture inclusive apparaissent alors comme un terrain de recherche à explorer, particulièrement dans le domaine de la typographie. À l’instar de l’utilisation de l’astérisque ou du x, des pratiques typographiques s’amorcent.

Sur la question, des workshops[16] typographiques voient le jour, organisés par la collective Bye Bye Binary. Des travaux typographiques sont présentés publiquement lors de colloques[17]. Des formes graphiques et typographiques émergent alors, notamment le travail de nouveaux glyphes (lettres, ligatures, points médians, éléments de liaisons ou de symbiose) principalement sous la forme de nouvelles ligatures — i·e, l·e, f·e, x·se, r·e, f·v, …). Par exemple, « iel » qui peut contenir un glyphe spécifique « » combinant le i et le e (tout comme le o et le e dans le glyphe « œ »).

Pour établir le cadre et la méthodologie nécessaire à une étude approfondie, nous utiliserons en tant qu’échantillons les polices de caractères Baskervvol de la collective Bye Bye Binary, DINdong de Clara Sambot, l’Inclusifve de Tristan Bartolini, le Times New Roman Inclusif d’Eugénie Bidaut, ainsi que des expérimentations en cursives d’Ariel Martín Pérez[18].

A. Bye Bye Binary

Bye Bye Binary (BBB) est une collective franco-belge, une expérimentation pédagogique, une communauté, un atelier de création typo·graphique variable, un réseau, une alliance. BBB, formé en novembre 2018 lors d’un workshop conjoint des ateliers de typographie de l’École de Recherche Graphique (erg) et La Cambre (Bruxelles), propose d’explorer de nouvelles formes graphiques et typographiques adaptées à la langue française, notamment par la création typographique collective du Baskervvol.

B. Clara Sambot

Membre de BBB, étudiante à l’erg (Bruxelles) en Master Typographie, Clara Sambot publie en mai 2020 la police de caractères Cirrus Cumulus comprenant des glyphes inclusifs sur la fonderie Velvetyne. La Cirrus Cumulus revêtant un aspect particulièrement créatif et fantaisie, c’est la DINdong, encore non publiée à ce jour, qui est utilisée dans notre étude. Clara Sambot travaille actuellement à la constitution d’une typothèque en ligne rassemblant différentes polices de caractères comprenant des glyphes inclusifs et sous licence libre.

C. Eugénie Bidaut

Eugénie Bidaut, étudiante à l’ANRT (Atelier National de Recherche Typographique) à Nancy poursuit actuellement un projet de recherche dans le cadre duquel elle conçoit une police de labeur comprenant des caractères inclusifs fonctionnels en petits corps ; le but étant que la ou les solutions trouvées puissent s’étendre à d’autres typographies. Elle travaille également à la création d’un ensemble d’outils permettant une prise en main facile : tutoriels expliquant comment activer les options Opentype sur les logiciels de mise en pages et de traitement de texte les plus utilisés, rédaction de scripts / plug-ins pour opérer des remplacements automatiques.

D. Tristan Bartolini

Récompensé en octobre dernier par le Prix Art Humanité de la Croix Rouge Suisse pour son projet de diplôme « L’inclusie », Tristan Bartolini est étudiant à la Head de Genève. Son projet ne propose pas une nouvelle police de caractères, mais un principe typographique adaptable à diverses polices. Dans notre étude, nous utiliserons sa version de l’Akkurat de chez Lineto.

E. Ariel Martín Pérez

Ariel Martín Pérez est dessinateur de caractères et membre de la fonderie Velvetyne, pionnière dans la diffusion de polices de caractères comprenant des glyphes inclusifs comme la VG5000 de Justin Bihan ou la Cirrus Cumulus de Clara Sambot. À l’occasion des Puces Typo 2020 et à l’invitation de Roxanne Maillet pour l’exposition collective « On aime pas ça parce qu’on devient deux », Ariel Martín Pérez a développé une réflexion sur l’écriture inclusive cursive.

4. Problématique & question de recherche

La langue française est une langue vivante et dès lors en constante évolution. Les discriminations liées au genre dont elle est porteuse, enferment les personnes dans des catégories, généralement homme ou femme, et invisibilisent les personnes non-binaires.

Une étude menée par Suzanne Zaccour et Michaël Lessard dans leur ouvrage Grammaire non sexiste de la langue française, compare l’emploi d’une grammaire binairement inclusive à celui d’une grammaire exclusive (Hains-Lucht, 2020). Les résultats soutiennent que ne pas tenir compte du langage inclusif participe au maintien des stéréotypes de genre dans l’imaginaire collectif. De plus, chaque fois qu’un terme est employé uniquement au masculin générique, cela empêche les femmes et les personnes non-binaires de s’identifier à ce dont il est question (Hains-Lucht, 2020). Dès lors, la langue étant ce qui nous permet de nous représenter la réalité qui nous entoure, la typographie non-binaire offre d’inclure et de représenter les femmes ainsi que les personnes queer / trans / genderfluid / intersexes / non-binaires. Le français inclusif donne alors à tout un chacun, membre à part entière de la société, sa place. La typographie non-binaire s’inscrit donc dans une démarche militante.

La question de l’apprentissage est donc cruciale. Nous pourrions avancer le postulat que l’enseignement systématique de la lecture et de l’écriture inclusive dès le plus jeune âge permettrait d’accéder à une langue inclusive pour tous, et ce en l’espace d’une génération. Certain·es linguistes sont plus prudent·es et avancent que « si la féminisation doit être enseignée dès le plus jeune âge, la réflexion sur l’usage politique, militant de la langue doit être amené (…) dans les dernières années de l’apprentissage, en guidant les jeunes vers une réflexion sur la variation, sur le (dé)classement social produit par les manières de parler et sur les façons d’user de la langue à des fins persuasives » (Rosier, 2018).

Source : le Ferec M., Payen M.,
Josafronde, 2020.

Dans le cadre du projet d’une langue inclusive, les nouvelles propositions typographiques proposent de travailler la plasticité du cerveau et la notion d’apprentissage de la lecture. Ces expérimentations typographiques sont parfois curieuses et étonnantes en regard de nos habitudes de lecture. L’argument de la lisibilité va donc être l’argument premier des détracteur·ices de ces recherches, tout comme pour l’écriture inclusive (« Une écriture excluante qui s’impose par la propagande »[19]) qui fait face également à de nombreux défis (Rosier & Rabatel, 2019).

Source : Laurent N., expérimentations graphique lors du workshop #1,
Des imaginaires possibles autour d’une typographie inclusive, 2018.

Suite à la publication des travaux de Tristan Bartolini et de Bye Bye Binary, de nombreuses personnes handi, dys, neuroa se sont manifestées sur les réseaux sociaux pour communiquer leurs difficultés de lecture de certains caractères typographiques.

Source : Sambot C., Cirrus Cumulus, Velvetyne 2020.

Par ailleurs, pour comprendre un texte, il ne suffit pas seulement de le décoder, mais encore faut-il le comprendre. L’acte de lire implique non seulement la reconnaissance des mots mais également leur compréhension. De plus, le processus de lecture s’appuie sur les structures cognitives qui réfèrent aux connaissances que possède le·a lecteur·ice sur la langue et sur le monde. Les connaissances sur la langue sont réparties en quatre catégories et sont importantes dans la compréhension à la lecture (Giasson, 2007) : (1) connaissances phonologiques, (2) connaissances syntaxiques, (3) connaissances sémantiques, (4) connaissances pragmatiques. L’intérêt de l’étude porterait sur les connaissances phonologiques et sémantiques.

La phonologie s’intéresse aux aspects sonores de la langue. Par conséquent, les connaissances phonologiques touchent aux phonèmes et à la capacité de les distinguer. Les phonèmes représentent les unités permettant de différencier les mots les uns des autres. Il existe trois niveaux d’analyse (Giasson, 2007) : (1) perception : du signal acoustique arrivant aux oreilles jusqu’à l’élaboration d’un code phonologique susceptible d’être mis en relation avec la ou les représentations sémantiques correspondantes, (2) lexique phonologique : stocké en mémoire qui permet de comprendre les mots entendus et d’en produire à notre tour, (3) production de la parole : évocation implicite de la représentation abstraite d’un mot jusqu’à sa production explicite.

L’acquisition des procédures d’identification des mots écrits exige une capacité de mettre en rapport les graphèmes avec les unités phonologiques correspondantes (syllabes, parties de syllabes), cela afin d’élaborer des procédures de déchiffrement (Giasson, 2007). Il s’agit de la métaphonologie, une capacité difficile à acquérir pour les enfants. Cette difficulté réside dans le fait que les unités de parole représentées par des lettres, les phonèmes, sont des unités abstraites. De plus, les connaissances sémantiques désignent les connaissances du sens des mots et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Lors de la lecture, nous considérons les mots de vocabulaires correspondant à ce qui a été lu comme des concepts acquis.

Source : Corinne Totereau, Animation pédagogique Cluses, IUFM Bonneville, 13/10/2004. L’APPROCHE COGNITIVE DE LA LECTURE.

Afin de lire (décoder) et comprendre (sémantique) ce que nous lisons, nous devons établir une connexion entre les mots écrits et leur signification stockée en mémoire. Cette connexion peut s’établir grâce au fait que les graphèmes (lettres) représentent des phonèmes (sons). Les mots écrits peuvent ainsi être reconnu via l’assemblage d’un code phonologique[20] qui donne accès à la signification. Ce qui permet de lire tout ce qui peut être compris oralement. L’apprentissage de la lecture est représenté par un modèle à double voie : la voie d’assemblage (utilisée par les apprentis lecteurs) et la voie d’adressage (employée par les lecteurs experts).

Interviennent également dans le processus de compréhension à la lecture, les microprocessus. Ceux-ci aident à appréhender les informations véhiculées dans la phrase. Lors de cette phase, il ne s’agit pas uniquement de reconnaissance de mots, mais bien de regrouper les mots en unités signifiantes et sélectionner les éléments de la phrase importants à retenir (Giasson, 2007). Les microprocessus comptent trois habiletés : (1) la reconnaissance des mots ; (2) la lecture par groupe de mots ; (3) la microsélection.

La reconnaissance des mots peut être mise en lien avec ce que nous avons évoqué plus haut, à savoir le modèle à deux voies. En effet, les lecteur·ices expert·es reconnaissent plus facilement les mots qu’iels rencontrent que les lecteur·ices débutant·es. La reconnaissance automatisée des mots libère plus d’énergie pour les processus de haut niveau qui eux requièrent plus d’attention consciente. Dans le cadre d’une étude approfondie, la lecture des mots inconnus tant à l’oral qu’à l’écrit pourrait être intéressante car dans le cadre des échantillons que nous proposerions aux participant·es de l’étude, les typographies sélectionnées pourraient faire penser à des néologismes pour les lecteur·ices non averti·es. Nous postulons alors que les mots de vocabulaire nouveaux peuvent prendre sens au cours de la lecture grâce au contexte.

La lecture par groupe de mots consiste à utiliser les indices syntaxiques pour identifier dans la phrase les éléments qui sont reliés par le sens (Giasson, 2007). Elle intervient dans la compréhension de la lecture car ces groupes de mots sont traités en tant qu’unité signifiante dans la mémoire à court terme et transférée dans la mémoire à long terme. Dans le cadre d’une étude, la lecture par groupe de mots semblerait être une habileté qui pourrait être utile aux participant·es afin de les aider dans la compréhension des phrases proposées. En effet, en regroupant les mots par unité de sens, malgré une typographie inconnue intervenant sur certaines lettres, le contexte de la phrase sera un soutien non négligeable pour en saisir la signification.

Enfin, la microsélection est l’habileté qui amène à décider quelle information doit être retenue dans une phrase (Giasson, 2007). Elle sert à déterminer l’idée principale de la phrase. Dans le cadre d’une étude, cette habileté serait peu sollicitée puisque les phrases qui sont proposées le sont individuellement et non dans un texte. Les microprocessus participent donc à la sélection des unités de sens à l’intérieur des mots et des phrases et déterminent lesquels garder en mémoire pour la compréhension du texte (Carignan et al., 2017). Ce sont les processus de base responsables de la compréhension.

Nous venons d’analyser les mécanismes intervenant lors du processus de lecture. Compréhension et interprétation sont liées (Carignan et al., 2017) puisque la compréhension en lecture est régie par la construction de sens et des significations possibles par le biais d’analyse syntaxiques et sémantiques. La compréhension à la lecture implique donc un accès au sens des mots et leur mise en lien. Par conséquent, compte tenu des processus d’apprentissage de la lecture, tant au niveau du décodage que de la compréhension, quels peuvent être les obstacles et/ou facilitateurs des nouvelles formes typographies ? Cette réflexion nous a amené à nous poser la question de la recherche à mener :

Les nouvelles formes typographiques inclusives et non-binaires ont vocation à inclure tous les genres en employant de nouveaux caractères spécifiques. Dans quelles mesures ces nouvelles typographies peuvent-elles être appréhendées de façon à permettre la lecture (décodage) et la compréhension (sémantique) de textes, et plus particulièrement l’écriture non-binaire, pour des enfants en situation d’apprentissage et des adultes présentant des troubles d’apprentissage de la lecture (dyslexie).

Un travail analytique approfondi permettrait de rendre compte des facilités / difficultés d’apprentissage à la lecture de ces typographies nouvelles. La comparaison avec l’utilisation du point médian nous semble être intéressante afin que les critiques qui sont formulées puissent être fondées ou infondées sur une recherche de terrain. Les détracteur·ices d’une écriture inclusive, comme mentionné supra, brandissent l’augmentation des difficultés d’apprentissage. Selon eux, l’écriture inclusive renforcerait les exclusions d’une partie de la population dont les personnes ayant une dyslexie ou encore les personnes aveugles. À notre connaissance, il n’y a pas (encore) d’article scientifique, exposant les difficultés de lecture liées à l’usage du point médian, ayant fait l’objet d’une publication.

D’une part, une telle recherche permettrait d’avoir des résultats quantifiables auprès de jeunes enfants en situation d’apprentissage de la lecture, mais également auprès d’adultes. D’autre part, les résultats de cette étude avanceraient des arguments en faveur ou défaveur de certaines propositions (tant au niveau du décodage que de la compréhension), et fourniraient des recommandations de lisibilité aux designers de caractères typographiques.

Source : Police OpenDyslexic
Batilly, L. (2020). Non, les polices « dys » n’aident pas les dyslexiques !

En effet, dans l’enseignement de la typographie, qu’on peut qualifier de validiste, les futurs designers de caractères sont peu formés aux questions de lisibilité et encore moins aux difficultés rencontrées par les personnes ayant des troubles de la lecture. Bien qu’il existe des ouvrages sur la question de la lisibilité des caractères typographiques et du processus de lecture[21] ou des écrits controversés[22] à propos des polices de caractères dédiées aux dyslexiques[23], ces questions restent des problématiques qui ne sont pas quasi pas embrassées dans les démarches de création typographique.

Les recherches et les réflexions qu’elles ont suscitées, nous ont conduit à formuler la nécessité d’une étude analytique approfondie à mener au sujet des nouvelles formes typographiques afin de discerner les obstacles et/ou facilitateurs de celles-ci au niveau de la lisibilité des mots et de la compréhension des phrases.

5. Méthodologie de l’étude de lisibilité

Pour la rédaction de cet article, nous avons joint nos expertises respectives, d’une part en tant que logopède (Christella Bigingo) et d’autre part en tant que graphiste et membre de la collective Bye Bye Binary (Caroline Dath°Camille Circlude) afin d’établir les bases de la question de recherche à mener et à poursuivre.

À cette fin, nous avons utilisés différents échantillons typographiques. Chaque police de caractères (A. Baskervvol ; B. DINdong ; C. Times New Roman Inclusive ; D. Akkurat Inclusifve ; E. Ductux cursive) présentée l’est sous 3 formes différentes : une version du texte genré (A.1.), une version utilisant le point médian (A.2.), et une version proposant des ligatures non-binaires (A.3.).

A. Baskervvol

La Baskervvol est une reprise par la collective Bye Bye Binary de la Baskervville de l’ANRT (2017-2018), elle-même reprise de la version de Claude Jacob de 1784 originalement créée par John Baskerville en 1750. En 2018-2020, la police de caractères a été augmentée de façon incomplète de glyphes inclusifs et diffusée en libre accès (à paraître) de façon à accueillir en son sein d’autres caractères additionnels. Son étude est intéressante pour son caractère normatif et fréquemment utilisé pour des textes de labeurs. Elle fait partie de la famille de caractères à empattements qui sont réputés faciliter la lecture de longs textes.

B. DINdong

Comme l’écrit Clara Sambot elle-même, DINdong est une reprise « crapuleuse » de la DIN 1451 fette Breitschrift – d’après le dessin de Peter Wiegel. Elle est construite sur une réutilisation renversée des tracés normés de DIN. Cette réinterprétation est particulièrement intéressante car la police de caractères DIN est l’expression même de la normalisation appartenant à la codification DIN (Deutsches Institut für Normung, Institut de normalisation allemand). Il est donc intéressant d’inscrire aux endroits de la norme des pratiques non-normatives et d’en évaluer les effets.

C. Times New Roman Inclusive

Eugénie Bidaut propose une reprise du caractère bien connu Times New Roman en y ajoutant des ligatures entre les lettres. Son fichier de police est conçu tel que l’utilisation d’un point médian classique (·) est remplacé par ces ligatures (traditionnellement observée entre le f et le i pour former un fi). Son étude est particulièrement intéressante car la légèreté de ces ligatures prête presque à confusion avec une écriture au féminin neutre, tellement l’intervention graphique est subtile. Le choix de la Times New Roman est loin d’être anecdotique puisqu’il s’agit de la police de caractères préconisée pour tout écrit académique, son utilisation dans ce milieu pourrait donc permettre une propagation rapide de cet usage dans de nombreuses filières.

D. Akkurat Inclusifve

Tristan Bartolini a ajouté près de 40 glyphes inclusifs à la police de caractères existante Akkurat, propriété de la fonderie Lineto (non libre de droit). Il s’agit d’un caractère suisse de la famille des linéales (caractère bâton, sans empattements) réputé très lisible. L’étude de ce caractère est intéressante car les glyphes présentés sont parfois très graphiques et particuliers (xse) invitant à un premier décodage et à de nouvelles habitudes de lecture.

E. Ductux cursive

Ariel Martín Pérez, dessinateur de caractères, propose plusieurs variations à partir de sa propre écriture cursive. Tout d’abord, une tentative de reproduire le point médian à l’écrit (E.2) pour lequel il note moins de fluidité et des arrêts plus fréquents pour introduire le point médian. Une méthode, nommée « Ductux », mise au point par ses soins qui utilise des ligatures cursives grâce à l’utilisation stratégique d’ascendantes et descendantes (E.3) et confère plus de fluidité à l’écriture, bien que de potentielles confusions avec des i ou des m. Et enfin, une tentative de reproduire en cursive les expérimentations typographiques de la Baskervvol et de la DINdong (E.4).

Les échantillons seraient soumis à trois groupes tests : le premier sera composé d’enfants en apprentissage de la lecture après une première année d’apprentissage (2e primaire). Le deuxième groupe serait composé d’adultes ayant été diagnostiqués comme ayant des troubles d’apprentissage de la lecture (dyslexie). Enfin, le troisième, groupe contrôle, serait composé de lecteur·ices expert·es, c’est-à-dire de personnes ne présentant pas de troubles de la lecture, et disposant d’un lexique mental adéquat (accès au sens).

La récolte des données (qualitatives) serait réalisée via des entretiens semi-directifs. Afin de récolter des données représentatives, les échantillons seraient soumis à 100 individus de chaque groupe test, à savoir au total 300 entretiens à conduire.

Il sera demandé aux participant·es de lire une phrase. Ensuite, suivront une série de questions  concernant la lecture (décodage) et la compréhension (sémantique). Le choix des phrases proposées aux participant·es se ferait de manière aléatoire afin qu’iels puissent être confrontées à différentes typographies.

Questionnaire

  • Lisez la phrase à voix haute.
  • Quelle(s) difficulté(s) avez-vous rencontrée(s) ? Détaillez.
  • Trouvez vous cette phrase lisible (déchiffrable) ?
    Si non, que n’avez-vous pas réussi à lire (déchiffrer) ?
    – Est-ce un mot en particulier ? Lequel ?
    – Est-ce une syllabe en particulier ? Laquelle ?
    – Est-ce un caractère particulier ? Lequel ?
    – Qu’est-ce qui vous a empêché/gêné lors de la lecture
    de ce mot/de cette syllabe/de ce caractère ?
  • Trouvez-vous cette phrase compréhensible (accessibilité du sens) ?
    Si non, quel(s) terme(s) n’avez-vous pas compris ?
    – Est-ce un mot en particulier ? Lequel ?
    – Est-ce une syllabe en particulier ? Laquelle ?
    – Est-ce un caractère particulier ? Lequel ?
    – En quoi ce mot/cette syllabe/ce caractère vous a empêché de comprendre la phrase ?
  • Reformulez la phrase avec vos mots
    (cette question permet de voir le niveau de compréhension de la phrase)
    – Vous pouvez également la reformuler en ajoutant un contexte
  • Selon vous, à quel(s) identité(s) de genre fait référence cette phrase ?
    – Qu’est-ce qu’une identité de genre ? (donner l’explication si terme non connu)
    – Pouvez-vous me donner des exemples d’identité de genre et les expliquer ? (mentionner que si la personne n’en connait pas, des exemples expliqués lui seront donnés à la fin de l’entretien et cela afin de ne pas biaisé sa réponse car elle serait orientée par nos exemples)
  • Souhaitez-vous ajouter quelque chose, une remarque ?

Nous émettons l’idée d’entretiens semi-directifs pour diverses raisons. Dans un premier temps, lors de l’entretien, il serait demandé aux participant·es de lire les phrases à voix haute. Cela donnerait des informations sur la voie de lecture employée (assemblage ou adressage). Dans un deuxième temps, l’analyse de la voie de lecture employée permettrait d’émettre des hypothèses quant aux réponses que les participant·es donneront aux questions. En effet, nous pensons que la manière de lire les terminaisons des mots est un indice du « genre » que les participant·es attribueront à ce terme.

Nous pourrions également envisager une récolte des données par le biais d’outils en ligne. Néanmoins, cela enlèverait la plus-value de la lecture à voix haute. Pour y pallier, nous pourrions envisager de demander aux participant·es de s’enregistrer. Ceci peut faire l’objet d’une recherche ultérieure.

Ensuite, il conviendrait de veiller à ce que les participant·es rencontrent une seule fois chaque phrase indépendamment de la typographie dans laquelle elle est écrite. En effet, s’iels sont face à la même phrase à plusieurs reprises, cela fausserait les résultats puisqu’à la deuxième rencontre, selon la police de caractères, iels peuvent changer leurs réponses car se rendant compte qu’iels l’analysent selon des biais de genre. Ce travail peut faire l’objet d’un futur travail de recherche.

L’analyse des résultats de ces trois groupes nous permettrait d’en savoir davantage sur la lisibilité (déchiffrage) d’une typographie non-binaire, l’accès à la compréhension (sens) tant des mots que des phrases. Nous pensons que si les enfants apprennent les typologies nouvelles au moment de l’apprentissage de la lecture, iels n’éprouveront pas de difficultés particulières à les lire et encore moins à y mettre du sens, contrairement aux lecteur·ices expert·es qui ont déjà un bagage typographique et lexical. Quant aux personnes ayant des troubles de la lecture, nous espérons que leurs réponses nous apporterons des informations quant aux types de typographies adéquates permettant d’éviter les difficultés régulièrement rencontrées comme les confusions visuelles (bd/pq), erreur dans l’association d’un son et d’une lettre.

Enfin, nous espérons une différence significative entre la typographie non-binaire et le point médian. En effet, nous pensons que la typographie non-binaire serait plus facile à appréhender au niveau de la lisibilité et de la compréhension que le point médian.

6. Conclusion

Cet article établit les bases d’une recherche qui pourrait aboutir à des résultats concrets dans le cadre d’un mémoire, d’un doctorat ou d’une thèse et établit la nécessité de financer une telle recherche inédite. Une analyse de la coordination oculaire des participant·es serait un réel apport significatif dans le cadre d’une recherche scientifique. Sachant que les saccades et les points de fixation sont les caractéristiques de base des mouvements oculaires pendant la lecture (Kirkby et al., 2008), un examen du balayage visuel des participant·es permettrait d’en découvrir davantage sur la fréquence des régression (retour en arrière) et la durée des fixations. En effet, lors de la lecture, face à une difficulté de décodage, la fréquence des régressions augmente tout comme la durée des fixations (Kirkby et al., 2008). Cela nous donnerait également des informations sur l’efficacité de la méthode de lecture employée. Il sera attendu que les participant·es utilisent la voie d’assemblage car face à des mots « inconnus » (uniquement au niveau de la typographie). Le nombre de retour en arrière indiquerait une hésitation voire une difficulté quant au décodage des mots. Ce qui peut entraîner des difficultés de compréhension.

Déplacer le débat médiatique autour de la question de la lisibilité de l’écriture inclusive et de la typographie non-binaire vers une véritable recherche scientifique menée par des chercheur·ses en linguistique, logopédie et typographie permettrait de sortir d’un débat d’opinion et d’obtenir des données tangibles utiles pour les designers de polices de caractères dans l’optique d’une meilleure inclusion des personnes queer / trans /genderfluid /non-binaires dans l’espace commun d’une langue.

7. Références

Académie française. (2017). Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite « inclusive ». www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

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Carignan, I., Simbagoye, A., Chamberland, J., Roy-Charland, A. (2017). Les difficultés de compréhension en lecture chez les étudiants de la francophonie ontarienne en formation initiale des maîtres. La littérature tout au long de la vie, 45(2), 194-213. doi.org/10.7202/1043535ar

Conseil de la langue française et de la politique linguistique. (2017). Avis relatif à la rédaction dite « inclusive ».

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De Ganck, T. (2020). Sexualité, genre et société. Notes de cours non publiées, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve.

Kirkby, J., Blythe, H., Liversedge, S., Webster, L. (2008). Binocular coordination during reading and non-reading tasks, Psychological Bulletin, 134(5), 742-763. DOI: 10.1037/a0012979

Löwy, I. (2003). Intersexe et transsexualités : les technologies de la médecine et la séparation du sexe biologique du sexe social. Cahiers du Genre, 34(1), 81-104.

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Viennot, E. (2014). Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin! Petite histoire des résistances de la langue française. Donnemarie-Dontilly, France: Editions iXe.


Notes

  1. Estebe, J. (2020). Un genevois crée la première typographie inclusive. Tribune de Genève, publié le 20 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : www.tdg.ch/un-genevois-cree-la-premiere-typo-inclusive-168461901432
  2. Bye Bye Binary. (2020). La typographie inclusive, un mouvement*! *féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine. publié le 23 octobre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : http://genderfluid.space/2020_10_25_communique-presse-ByeByeBinary.pdf
  3. Tribune collective. (2020) Une « écriture excluante » qui « s’impose par la propagande » : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive. Marianne, publié le 18 septembre 2020, dernièrement consulté le 21 novembre2020 : www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les
  4. Commentaires d’internautes sur le site Internet du Figaro à la suite de la publication de l’articleà propos du prix remporté par Tristan Bartolini :« Et comment ces textes se lisent à haute voix ? Déjà qu’il nous faut subir l’écriture texto, et que beaucoup lisent difficilement : pour le coup c’est vraiment une sélection intellectuelle que veulent imposer des bobos dit de gauche. Cela leur permettra de justifier un entre-soi qu’ils adorent. En quoi cela fera progresser la situation des femmes ? »« Plus un centime à La Croix rouge. C’est terminé, toutes ces associations ou fondations dérivent sur des sujets qui n’ont plus rien à voir avec leur fondamentaux. Ils sont comme les écolos qui devraient ne s’occuper que d’écologie, mais qui profitent de leur position pour glisser sournoisement des évolutions collectivistes. Boycottage total de toutes ces structures »Source : www.lefigaro.fr/culture/l-ae-mp-arrain-ne-decouvrez-le-premiere-alphabet-inclusif-recompensee-par-la-croix-rouge-20201021
  5. FDFA. (2020). Billet collectif du réseau REHF contre la récupération du handicap par les personnes anti-écriture inclusive, publié le 14 décembre 202, dernièrement consulté le 4 janvier 2021 : fdfa.fr/billet-collectif-du-reseau-rehf-contre-la-recuperation-du-handicap-par-les-personnes-anti-ecriture-inclusive/
  6. L’intervention dans le terminal du logiciel pour modifier la verbalisation du point médianou l’utilisation du trait d’union.
  7. « On ne nait pas femme, on le devient » (Le Deuxième Sexe, 1949).
  8. Ranc, A. (2019). Ni homme ni femme : 14% des 18-44 ans se disent « non-binaires ». L’Obs, publié le 27 mars 2019, dernièrement consulté le 4 janvier 2021 : www.nouvelobs.com/societe/20190327.OBS2526/ni-homme-ni-femme-14-des-18-44-ans-se-disent-non-binaires.html
  9. Preciado, P.B. (2018). L’opération. Libération, consulté le 10 octobre 2020 :next.liberation.fr/images/2018/11/02/l-operation_1689546
  10. Assemblée Nationale (2020). Sébastien Chenu, Ludovic Pajot, Nicolas Meizonnet, Marine Le Pen, Bruno Bilde, Agnès Thill, Joachim Son Forget, Emmanuelle Ménard, Marie France Lorho. Proposition de loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par toute personne morale publique ou privée bénéficiant d’une subvention publique, publié le 28 juillet 2020, dernièrement consulté le 21 novembre 2020 : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3273_proposition-loi
  11. Club Mæd. (2020). Guide Pratique du Langage Inclusif en École d’Art. Consulté le 4 janvier 2021 :http://langage-inclusif-clubmed.fr/
  12. Le Callenec, S., François, E. (2017). Questionner le monde, CE2. Paris : Hatier.
  13. Paveau, M.-A, Rosier, L. (2008). La langue française : passions et polémiques. Paris : Vuibert.
  14. Les touches Alt + 0183 doivent être combinées au pavé numérique pour former le point médian.
  15. Bourcier, S. (2019). Homo Inc.orporated : le triangle et la licorne qui pète. Paris : Cambourakis
  16. Gender Fluid, Bye Bye Binary #1, école de recherche graphique / La Cambre, Bruxelles, novembre 2018 ;Gender Fluid, Bye Bye Binary #2, Biennale internationale de Design de Saint-Etienne, avril 2019.
  17. Intégration d’une communication inclusive dans les établissements d’enseignement supérieur, Sophia, Bruxelles, février 2019 ;Let It Read, Campus Fonderie de l’Image, Paris, novembre 2019 ; Genre, pouvoir, langage, Ensba Lyon, novembre 2020.
  18. Voir annexes.
  19. Marianne. (2020). Une écriture qui s’impose par la propagande, publié le 18 septembre 2020, dernièrement consulté le 31 octobre 2020 : www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les
  20. Voie phonologique : identifier les correspondances entre les lettres et les son. Lors de la lecture,le mot est traduit en phonèmes avant de lui assigner une signification.Voie d’adressage : voie lexicale ou directe : consiste à identifier le mot comme une forme précise et stable,sans passer par l’assemblage. Il y a appariement direct entre la forme graphique et la signification.
  21. Unger, G. (2015). Pendant la lecture. Paris : Éditions B42.
  22. Batilly, L. (2020). Non, les polices « dys » n’aident pas les dyslexiques ! publié le 4 février 2020, dernièrement consultéle 4 janvier 2021 : www.ortho-n-co.fr/2020/02/recherche-non-les-polices-dys-naident-pas-les-dyslexiques/Gabus, L. (2019). La typographie au secours des dyslexiques. Le Temps, publié le 15 avril 2019, dernièrement consultéle 4 janvier 2021 : www.letemps.ch/societe/typographie-secours-dyslexiques
  23. Dyslexie, OpenDyslexic, ReadRegularTM, Sylexiad.